Côte d'Ivoire : la gouvernance inclusive au cœur du foncier rural

23 juin, 2021

Une meilleure collaboration entre populations et autorités est aujourd’hui nécessaire pour assurer la mise en œuvre de politiques foncières plus apaisées et efficaces en Côte d’Ivoire. Les recommandations d'un large processus consultatif facilité par Interpeace et son partenaire Indigo Côte d'Ivoire, appellent à une gouvernance plus inclusive et participative des processus de préservation des forêts et de délimitation des villages menés par l’Etat. Ces recommandations ont été formulées dans le cadre du projet de participation à la gestion du foncier rural, PAGEFOR, conclu lors d'un forum national à Abidjan le 31 mars 2021.

« La conduite de politiques publiques touchant aux enjeux fonciers peut être source de blocages et de conflits. Au-delà des opportunités économiques qu’elle procure, la terre est intimement liée à l’identité et au statut des communautés qui y vivent. Dans ce contexte, changer les règles régissant l’exploitation d’une forêt, déloger des populations d’aires protégées ou cadastrer les frontières d’un village peut bouleverser un ordre social établi et être source de craintes et résistance. » explique Margaux Pimond, chargée de programme à Interpeace Côte d'Ivoire.

Photo credit: INDIGO

Les récentes politiques pour préserver les forêts classées et aires protégées, et pour délimiter les territoires villageois, ont provoqué des incompréhensions et des tensions dans certaines communautés rurales de Côte d'Ivoire. Le faible niveau de connaissance des politiques et le dialogue limité autour des processus de mise en œuvre ont généré de la méfiance et ont rendu difficile le travail des agents techniques et la collaboration de la part des communautés.

"Avant, nous pensions que la politique de l'État était de nous enlever nos terres et qu'après la délimitation, nous n'aurions plus accès à nos terres", a déclaré Dosso Metogba, président des jeunes de la communauté de Massala-Assolo.

En prenant en compte ces défis et leurs conséquences sur la paix et la cohésion sociale, Interpeace et Indigo Côte d'Ivoire ont conçu et mis en œuvre le projet PAGEFOR dans le but d'améliorer la compréhension et de s'assurer que ces tensions soient gérées de manière collaborative. Celui-ci a reçu le soutien financier de l'Union européenne et a ciblé des localités à l’Ouest et au Nord-Ouest du pays.

Photo credit: INDIGO

Dans le cadre de ce projet, nos équipes ont mené une étude participative sur les obstacles à la mise en œuvre pacifique des processus de préservation et de délimitation des villages. Les résultats ont permis de créer des cadres de collaboration avec les membres des communautés, les autorités locales et les agents techniques afin de relever ensemble ces défis par le dialogue et la coopération.

Ensemble, les acteurs du cadre de collaboration ont soutenu les communautés et toutes les parties prenantes concernées, en améliorant leur compréhension et leur gestion des dynamiques liées à la préservation des forêts classées et des aires protégées dans l'ouest de la Côte d'Ivoire et liées à la délimitation des territoires de villages dans le Worodougou (nord-ouest). Ils ont participé à une série de séances d'information sur les objectifs et les cadres juridiques entourant ces processus de dialogue, autour de leurs implications concrètes pour les populations locales.

"Nous avons été sensibilisés par le passé, mais nous avons mal compris. C'est après une activité organisée à Barata par Indigo que nous avons compris [correctement] et que nous avons été convaincus. On nous a expliqué ce que signifie la délimitation, ce qu'elle nous permet de faire et ce qui se passera dans le cas contraire. C'est ce qui nous a conduit à créer un cadre de collaboration avec tous les membres de la société", a expliqué le président de la jeunesse de Massala-Assolo.

Le projet a également doté les cadres de collaboration des capacités dont ils ont besoin pour identifier les signes avant-coureurs, prévenir ou arbitrer tout conflit, notamment les conflits fonciers et ceux spécifiquement liés aux processus de préservation et de délimitation des territoires de village.

"Grâce aux cadres de collaboration et aux comités de paix que nous avons mis en place, je peux dire que dans les deux villages, je n'ai pas eu de conflit depuis plus d'un an. Les communautés elles-mêmes ont des mécanismes, elles règlent les problèmes et me rendent compte. Si nous pouvions mettre ce mécanisme dans tous les villages pour gérer les conflits, nous respirerions ", a déclaré Henri Blé Guédé Nahounou, administrateur local à Guiglo. 

Grâce à ce projet, Interpeace et Indigo Côte d'Ivoire ont renforcé la collaboration entre les différents acteurs, amélioré la gestion inclusive et durable des conflits et contribué à la cohésion sociale et à la paix.

Parmi les autres recommandations, figure la nécessité de toujours mener une analyse participative initiale des enjeux économiques, sociaux et politiques liés à la préservation et à la délimitation des villages dans les communautés ciblées. Ce processus donnera aux membres de la communauté et aux autorités locales l'occasion d'exprimer leurs préoccupations et de clarifier ce qui est faisable dans le cadre de la loi. Le projet propose également que les processus et les outils de sensibilisation soient revus pour être plus didactiques et interactifs, afin de promouvoir une compréhension partagée des objectifs et du cadre légal, institutionnel et opérationnel des politiques de gestion de la conservation et de la délimitation des frontières villageoises.

Photo credit: INDIGO

En outre, il est recommandé d'identifier, de mettre en œuvre et de promouvoir par le dialogue des solutions conjointes et spécifiques au contexte. La mise en place des cadres de collaboration, c’est-à-dire des cadres informels d’échanges, inclusifs et participatifs entre leaders communautaires, traditionnels et autorités administratives, pourraient contribuer à prévenir ou gérer les différends liés aux processus de préservation et de délimitation des villages, et autres types de conflits. L'amélioration de la communication entre les populations et les agents techniques sur le terrain, ainsi que le renforcement des mécanismes de communication et de coordination entre les autorités politiques et les agences techniques concernées permettront de garantir la cohérence de l'action publique.

Suite au succès de ce projet, Interpeace plaide pour que l'initiative soit répliquée dans d'autres zones de la Côte d'Ivoire où les questions liées à la préservation et à la délimitation des villages restent très préoccupantes. Les bonnes pratiques et les recommandations du projet PAGEFOR, si elles sont reproduites ailleurs, contribueront à une gouvernance plus pacifique, cohésive et collaborative du régime foncier rural dans le pays.

Interpeace teste actuellement le mécanisme des cadres de collaboration du projet dans d'autres contextes de conflit, comme la prévention de la violence politique à Abidjan, Bouaké (centre) et Bangolo (ouest).

Plus d'informations dans les liens ci-dessous -

Défis et opportunités pour une mise en œuvre apaisée et effective du processus de préservation des forêts classées et aires protégées en Côte d’Ivoire

Défis et opportunités pour une mise en œuvre apaisée et effective du processus de Délimitation des territoires des villages (DTV) en Côte d’Ivoire

 

Charte des bonnes pratiques pour une mise en œuvre apaisée et effective des processus de Préservation des aires protégées et forêts classées en Côte d’Ivoire

 

Charte des bonnes pratiques pour une mise en œuvre apaisée et effective des processus de Délimitation des Territoires de Villages (DTV) en Côte d’Ivoire