Rempart au changement climatique, la gestion des ressources naturelles comme vecteur de paix et de résilience en Afrique de l’Ouest

En Afrique de l’Ouest, les conflits transfrontaliers sont exacerbés par une gestion ineffective des ressources naturelles, souffrant du changement climatique et d’autres pressions socio-économiques. En réponse, Interpeace et ses partenaires locaux ont élaboré des programmes innovants visant à renforcer la collaboration entre les communautés transfrontalières au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Ces efforts cherchent à améliorer la cohésion sociale, promouvoir le développement économique et renforcer la résilience des populations locales face aux chocs climatiques.

Les régions de Sikasso au Mali et des Hauts-Bassins au Burkina Faso sont essentielles à la stabilité et la prospérité du Sahel. “Poumons verts” de la région, ces provinces se démarquent par leur potentiel de productivité agricole et leur positionnement stratégique en tant que carrefours commerciaux. La richesse des ressources naturelles de ces territoires est un pilier essentiel aux moyens de subsistance des habitants, mais constitue également une forme de tension en l’absence de structures de gouvernance et en raison du stress environnemental.

Dynamique des conflits et pressions climatiques

Une recherche menée par Interpeace en 2021, financée par la Fondation PATRIP, fait état de trois dynamiques de conflit majeures transversales affectant plusieurs zones, notamment entre Koloko (Burkina Faso) et Finkolo (Mali), ainsi qu’entre les communautés de la région des Cascades (Burkina Faso) et le Tchologo (Côte d’Ivoire).

Premièrement, la compétition à l’acquisition, l'accès et l’usage du foncier s’est intensifiée puisque l’agriculture demeure le principal moyen de subsistance. Les agriculteurs étendent les limites de leurs terres arables au-delà des frontières traditionnelles, accroissant les tensions liées aux droits d’accès et de culture.

"Un/e agriculteur/rice cultivant un lopin de terre cherche à en repousser les délimitations, générant des conflits avec les autres agriculteurs, qui trouvent les démarcations traditionnelles changées", explique un agriculteur local de Koloko, au Burkina Faso.

Ensuite, la multiplication des conflits entre agriculteurs et éleveurs, de par la raréfaction des pâturages disponibles dû à l’expansion des terres agricoles, qui provoque des affrontements violents avec les éleveurs transhumants, les pasteurs nomades qui migrent saisonnièrement à la recherche de pâturages.

Enfin, l’exclusion des femmes et des jeunes des processus de gestion des conflits affaiblit la résilience communautaire. En dépit du rôle primordial joué par les femmes et les jeunes dans l’usage et la gestion des ressources naturelles, ces segments de la population restent souvent en marge des structures décisionnelles au sein d’une société marquée par une culture patriarcale.

La variabilité du climat, la dégradation des terres et l’usage de pratiques agricoles nocives à l’environnement, de même que l'aggravation de ces phénomènes dûs au changement climatique, font pression sur des réserves de ressources naturelles déjà sur le déclin. À cela s'ajoutent des saisons de pluie de plus en plus courtes, la raréfaction des précipitations, la multiplication des catastrophes naturelles, la déforestation et la désertification, exacerbant les sources de conflit. La migration des éleveurs transhumants vers les zones déjà fragiles a accru les tensions, compliquant ainsi la planification agricole et la gestion du bétail. Les pressions qui en résultent déclenchent des conflits récurrents, à la fois au sein des communautés et entre elles.

Pour favoriser l’édification d’une paix durable dans ces communautés, Interpeace a mis en place une stratégie selon trois axes prédominants : la promotion du dialogue participatif, le soutien de moyens de subsistance alternatifs et l’investissement dans les infrastructures communautaires favorisant le vivre ensemble.

 Renforcer la cohésion sociale par le dialogue communautaire

Interpeace a mis en place une stratégie à trois volets : la promotion du dialogue participatif, le soutien de moyens de subsistance alternatifs et l’investissement dans les infrastructures communautaires favorisant le vivre ensemble.

Le dialogue participatif a été institué via trois axes principaux: la conduite consultations communautaires sous forme de dialogues inter- et intracommunautaires dans la première phase du projet a permis de créer une plateforme de sensibilisation sur la prévention des conflits liés à l’exploitation des ressources naturelles.

Ensuite, la mise en place de commissions transfrontalières, constituées de membres de la communauté, des autorités locales et des agents techniques, : a non seulement servi de cadres pour l’intégration intercommunautaire, mais également d’outils efficaces pour la prévention et la gestion des conflits, au travers de mécanismes de plainte facilitant la résolution pacifique des conflits.

Interpeace, en collaboration avec ses partenaires locaux — les associations SOS Enfants et Esther Vision au Burkina Faso, et Action pour le développement de l’initiative locale au Mali — a mené une série de campagnes de sensibilisation par le biais de conférences et de forums éducatifs. Quatre cadres de dialogue civilo-militaire ont été mis en place, parallèlement à des rencontres éducatives, des foires transfrontalières et des représentations théâtrales communautaires destinées à promouvoir la coexistence dans les zones frontalières.

Ces forums, portant sur la gestion des ressources naturelles le long de la démarcation frontalière, ont attiré plus de quatre mille participants, y compris des dirigeants communautaires et, des autorités administratives et politiques. La mise en lumière du patrimoine culturel et gastronomique local a permis selon les participants de redécouvrir des valeurs partagées et des traditions communes entre communautés transfrontalières.

« Aujourd’hui, nous réalisons l’importance de l’effort collectif. Nous ne pouvons pas atteindre la paix sans travailler ensemble. Maintenant, nous nous comprenons mieux et continuons à travailler ensemble. Grâce aux interventions du programme dans nos communautés, nous priorisons la négociation via des canaux de discussions ouverts », a déclaré Zana Alassane, membre de la communauté de Zanapledougou en Côte d’Ivoire.

La promotion d’une culture du dialogue entre les communautés malienne, burkinabé et ivoirienne a permis de rassembler des populations qui, en raison des tensions passées, avaient cessé de socialiser ou de participer à des événements communs.  

Une diminution significative des tensions liées à l’exploitation des ressources naturelles a été rapportée au cours des deux dernières années. Les rapports d’incidents locaux compilant les données des commissions transfrontalières et des autorités locales n’ont révélé que des incidents mineurs en 2024, sans conflits majeurs liés aux ressources naturelles.

"Le programme nous a ouvert les yeux. Aujourd’hui, nous savons comment nous comporter et, surtout, nous sommes conscients de l’importance de travailler ensemble pour résoudre nos problèmes", a déclaré Coulibaly Blama, un jeune leader dans la communauté d’Ouarga, en Côte d’Ivoire.

 Améliorer les moyens de subsistance pour réduire la pression sur les ressources naturelles

Le programme a également introduit des activités de subsistance alternatives en aidant ces personnes, en particulier les jeunes et les femmes, à développer des initiatives génératrices de revenus, respectueuses de l’environnement et résilientes au changement climatique. Cette approche vise à autonomiser ces membres vulnérables de la communauté, à accroître leur contribution à la cohésion sociale et à réduire leur dépendance vis-à-vis de l’exploitation des ressources naturelles. Les activités comprenaient l’amélioration de la culture des semences, l’élevage de petit bétail et la transformation des produits locaux. Les membres de la communauté ont également appris des techniques agricoles novatrices qui augmentent la productivité sans mobiliser de vastes étendues de terre ou provoquer la dégradation des sols. L’élevage sédentaire de petits ruminants — une pratique durable qui réduit la nécessité d’avoir recours à la transhumance pendant la saison des pluies —, la production de soumbala qui se concentre sur la transformation des produits locaux plutôt que l’exploitation des ressources naturelles et l'apiculture ont contribué à réduire la dépendance à l’exploitation traditionnelle des terres comme seule source de revenu. Ces pratiques ont permis la diversification des moyens de subsistance tout en favorisant la durabilité environnementale et la cohésion sociale.

Des unités communes de transformation, un centre d’élevage de volailles et des entrepôts ont été créés pour favoriser la collaboration et améliorer les conditions socio-économiques. Pour assurer la durabilité de ces initiatives, les membres de la communauté ont reçu une formation sur la gestion des activités génératrices de revenus et la gestion financière.

« Les moyens de subsistance limités causés par le changement climatique ont également été source de conflits au sein de nos communautés. Ce programme nous a aidés à créer des activités génératrices de revenus. Grâce à la formation que j’ai reçue dans la production et la commercialisation de soumbala, j’ai pu accroître ma production et répondre aux besoins de ma famille. Je me concentre sur ce travail, qui a pris le pas sur les sources de tension qu’il y a pu y avoir avec mes voisins”, raconte Odette Sanou.

Investir dans les infrastructures communautaires pour la création d’un intérêt partagé

En complément à ce soutien apporté à la diversification des moyens de subsistance, le programme a permis l’établissement d’infrastructures essentielles à la provision de services publics, à l’image de marchés communautaires modernes, la rénovation de puits d’eau et de barrages, et de centres de santé, favorisant ainsi la synergie entre diverses activités génératrices de revenus et offrant des sites de ressources partagés. Des systèmes d’approvisionnement en eau potable ont également été construits afin de réduire les conflits liés aux ressources hydrauliques.

Ces initiatives ont permis de recréer le lien communautaire et de réduire les tensions, tant au sein des communautés qu’entre elles. Ces infrastructures répondent non seulement aux besoins de la population, mais renforcent également les fondements sociaux et le développement socio-économique.

L’expérience de Sikasso, des Hauts-Bassins et de Tchologo démontrent l’importance du rôle joué par le renforcement de la gouvernance participative des ressources naturelles, la promotion de moyens de subsistance résilients au climat et l’installation d’infrastructures sensibles aux conflits, dans la consolidation de la paix dans les régions fragilisées par les crises et les conflits.

À l’égard des risques liés au changement climatique qui ne cessent de s’accentuer, il est urgent de renforcer ces approches, de soutenir le leadership local et d’intégrer des cadres collaboratifs qui renforcent le lien entre les collectivités et les autorités. Le renforcement de la résilience face aux contraintes climatiques n’est pas seulement un impératif environnemental, mais une priorité en matière de consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest et ailleurs.

 

The role of research in building and strengthening resilience

Building and strengthening resilience in any country or society requires research-based interventions that drive real change. This resonates best in Rwanda, a country that experienced the most horrible crimes of the Genocide against the Tutsi three decades ago.

In June 2024, Interpeace partnered with Resilio - International Association for the Promotion and Dissemination of Resilience Research, the University of Rwanda, the Rwanda Biomedical Centre, the Ministry of National Unity and Civic Engagement, and local peacebuilding organizations to organise the 6th World Congress on Resilience, held in Kigali, Rwanda.

Themed “Resilience and Trauma: Conceptual Development, Challenges, and Perspectives,” this international gathering brought together more than 350 participants, including researchers, practitioners, academics, university students, peacebuilders, as well as policymakers from across the globe who are involved in the field of trauma healing and resilience.

Featuring scientific papers and oral presentations, poster sessions with presentations from researchers, video screenings, as well as panel discussions, the congress provided participants with the opportunity to deepen their discussions on the role of research in fostering trauma healing, strengthening resilience, and peacebuilding.

In joint opening remarks, the Chair of Resilio, Prof. Eugene Rutembesa, and Co-chair, Prof. Colette Jourdan-Ionescu, stressed the importance of organizing the congress in Rwanda, which is located in Africa’s Great Lakes region that has been experiencing violent armed conflicts and insecurity for decades.

“This congress will allow researchers from around the world, especially those from the Great Lakes region, which has been experiencing protracted political and ethnic violence, to better understand and discuss the ability to resist destruction, to preserve integrity, and to build the resilience of those people undergoing extreme suffering.”

Speaking as a Guest of Honor, Jean Damascene Bizimana, Rwanda’s Minister of National Unity and Civic Engagement (MINUBUMWE), underscored the level of resilience Rwanda has achieved 30 years after the Genocide against the Tutsi and commended the role of research in that journey. He also recognised that the discussions and deliberations of the congress would enable concerned actors to continue developing evidence-based programming.

“This event testifies to the importance of research and multi-stakeholder collaboration to help us further our understanding of resilience. It will also help all stakeholders across the globe to develop fact-based initiatives to continue strengthening the resilience of populations at all levels.”

The 6th World Congress on Resilience was an opportune occasion for Interpeace to showcase its work and holistic approach that have significantly contributed to strengthening the resilience of Rwandans.

Evidence-generation to strengthen resilience

At the world congress, Interpeace presented the findings of the resilience assessment framework titled: “A Community-Based Participatory Framework for the Assessment of Resilience in Rwanda,” conducted in collaboration with MINUBUMWE. Involving a significant sample of 7,481 individuals, the study evaluated resilience across four levels—individual, household, community, and institutional—using a comprehensive set of 38 indicators.

The findings underscored a commendable degree of resilience across all assessed levels, demonstrating a significant milestone three decades after the Genocide against the Tutsi. The study recommended the need for intensified efforts in societal healing initiatives to sustain the gain in healing and resilience. The Framework for the Assessment of Resilience stands as a landmark initiative and a foundational reference for future studies in the field of resilience within the country.

Interpeace also presented the findings of its Randomised Controlled Trials (RCT) conducted to assess the effectiveness of its two interventions, namely Resilience-Oriented Therapy and Multifamily Healing Spaces, both of which are being implemented in the community to strengthen resilience at the individual and family levels, respectively.

Findings revealed that Multifamily Healing Spaces are effective in addressing the intergenerational transmission of genocide legacies, resolving intra- and inter-family conflicts, promoting positive parenting, and improving family communication and cohesiveness.

Resilience-oriented therapy has been proven effective for emotional regulation, behavioral self-management, and identity development. The results indicated an increase in psychological resilience by 15%, a decrease in depression by 64%, and a decrease in anxiety by 53% among the Resilience-oriented therapy treatment cohort. Implemented at the Health Centre level, the approach helps to address cultural barriers associated with the one-on-one approach usually implemented across the country and makes mental health services more accessible to more people in need.

Minister Bizimana commended the group-based approaches in building the capacity of individuals for resilience. “The Resilience-oriented therapy has proven to be particularly effective. Findings are not only commendable but also serve as a model for other communities around the world’” stated Hon. Bizimana.

In Rwanda, Interpeace and its local partners implement a holistic approach to peacebuilding and resilience strengthening. Watch the video below to further understand the unique and innovative approach that has driven positive change in societal healing in Rwanda.

Societal Healing Programme in Rwanda - Brochure

 


In Rwanda, Interpeace collaborates with the government and non-governmental actors to implement a comprehensive societal healing initiative that encompasses mental health and psychosocial support, social cohesion, and the rehabilitation and reintegration of prisoners, while also promoting collaborative livelihoods. This program addresses the latent psychological scars left by the 1994 Genocide against the Tutsi, including the heightened prevalence of mental health disorders as identified in the Rwanda Mental Health Survey (2018). This brochure provides an overview of the programme’s interventions and methodologies, as well as the significant impact they are generating at the individual, community, and national levels.

A Community-based Participatory Framework for the Assessment of Resilience in Rwanda

Three decades after the Genocide against the Tutsi, Rwanda continues to navigate the complexities of rebuilding the social fabric and strengthen resilience of its population. The Ministry of National Unity and Civic Engagement (MINUBUMWE), in collaboration with Interpeace has released a new research titled: A Community-based Participatory Framework for the Assessment of Resilience in Rwanda. The objective of this study, conducted across all 30 districts of Rwanda, was fourfold. Firstly, it aimed to formulate and validate resilience indicators for structuring future research activities, policies, and programmes related to community resilience in Rwanda. Secondly, it sought to devise a participatory, multi-level methodology for assessing resilience indicators, drawing from existing frameworks, while tailoring them to Rwanda's specific context. Additionally, the study aimed to establish a baseline for community resilience across all districts of Rwanda and to propose actionable policy and programmatic recommendations for enhancing resilience nationwide.

Involving a significant sample of 7,481 individuals, the study adopted a mixed-methods approach, integrating both qualitative and quantitative methods. Resilience was evaluated across four levels—individual, household, community, and institutional—using a comprehensive set of 38 indicators.

Les résultats ont souligné un degré louable de résilience à tous les niveaux évalués, montrant une étape importante trois décennies après le génocide contre les Tutsis. Les recommandations ont souligné la nécessité d'intensifier les efforts en matière d'initiatives de guérison sociétale, de développement des infrastructures et de facilitation de l'accès au financement et aux opportunités d'emploi.

Read the Executive Summary Cliquez ici.

Rwanda: new findings and protocols to improve mental health and social cohesion

Des études montrent une prévalence élevée de troubles de santé mentale au Rwanda. Cette empreinte du génocide de 1994 contre les Tutsi a rendu difficile la réconciliation et la guérison sociétale. Lors d'une conférence hybride dans la capitale Kigali, le 2 septembre 2021, Interpeace et ses partenaires ont présenté les résultats de la recherche de base menée sur la santé mentale et la guérison sociétale dans le district de Bugesera.

La conférence était organisée par Interpeace, en partenariat avec la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation (NURC) et Prison Fellowship Rwanda (PFR). Elle a été soutenue par l'Union européenne (UE) à travers son ambassade au Rwanda.

Au cours de l'événement, les participants ont également discuté du développement de plusieurs protocoles, éclairés par cette enquête de base, pour évaluer les efforts en cours et intervenir sur les questions liées à la santé mentale, à la cohésion sociale et aux moyens de subsistance durables au Rwanda.

Depuis le génocide contre les Tutsi, le Rwanda a connu 27 années de développement et de croissance soutenus. Cependant, le pays continue de faire face à d'importants problèmes de santé mentale. Une proportion considérable de la population rwandaise vit avec un traumatisme lié au génocide contre les Tutsi.

« Ma mère est toujours seule. Quand je lui pose une question sur ce qui s'est passé pendant le génocide, elle s’isole immédiatement dans une pièce pour pleurer et je me sens triste parce que je ne peux rien faire pour l'aider à se sentir mieux »,a déclaré un participant à l'étude de base.

Cette situation est aggravée par la détresse psychologique et socioéconomique qui a contribué à perturber la cohésion sociale. Ces conditions de santé mentale qui prévalent ont rendu difficile le rétablissement de la confiance et la réconciliation des gens au Rwanda.

« Le Bugesera a beaucoup souffert du génocide contre les Tutsi. Les personnes traumatisées ont des difficultés à se pardonner et à se faire confiance, de même qu’à adopter le développement et des moyens de subsistance durables »,a déclaré le maire du district de Bugesera, Richard Mutabazi.

Cependant, le gouvernement rwandais et les organisations de la société civile locale ont déjà réalisé des investissements et des progrès importants dans la guérison des traumatismes, la cohésion sociale et l'amélioration des moyens de subsistance. Pour soutenir ces efforts en cours, la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation, Prison Fellowship Rwanda et Interpeace ont commencé à mettre en œuvre la phase pilote d'un programme de guérison sociétale dans le district de Bugesera, qui a été le plus durement touché par le génocide contre les Tutsi. Cette étude de référence sur la santé mentale et la guérison sociétale faisait partie de ce programme, lancé en octobre 2020.

"Nous voulions évaluer l'état actuel des communautés du district de Bugesera, en ce qui concerne la santé mentale, la cohésion sociale et les moyens de subsistance collaboratifs, puis utiliser les données comme base pour développer des protocoles d'intervention pour le district et au-delà", a expliqué le représentant d’Interpeace au Rwanda et dans la région des Grands Lacs, Frank Kayitare. « Nous avons obtenu une contribution inestimable des organisations gouvernementales et non gouvernementales. Ces intrants ont rendu notre programme plus réactif, permettant un résultat potentiellement plus résilient ».

La présentation des résultats de cette étude lors de la conférence, le 2 septembre, a marqué l'achèvement de la première étape de ce programme pilote, connue sous le nom de « Renforcement des capacités communautaires pour la cohésion sociale et la réconciliation par la guérison des traumatismes sociétaux dans le district de Bugesera ».

« Nous sommes très heureux de voir ce projet aboutir après plusieurs discussions qui ont commencé sur ce sujet très important entre Interpeace, le gouvernement, l'UE et d'autres partenaires il y a plus d'un an », a déclaré l’ambassadeur de l'UE au Rwanda, Nicola Bellomo.

Le défi de la santé mentale au Rwanda est multidimensionnel. Le manque de remords et de pardon, l'impunité et la pauvreté ont tous été cités dans la recherche comme des facteurs qui sous-tendent la méfiance entre les groupes sociaux. Un autre aspect important révélé par l'étude était le défi de la réinsertion réussie des auteurs de génocide condamnés qui ont terminé leur peine de prison. Plus précisément, il a été constaté que la réintégration est très souvent une expérience extrêmement difficile, pour les anciens prisonniers mais aussi pour les communautés qui les accueillent. Les problèmes de stigmatisation sociale, de rejet par la famille et d'incapacité à maintenir des moyens de subsistance ont été les plus fréquemment signalés parmi les ex-détenus libérés. Ces défis sociaux auxquels sont confrontés les ex-prisonniers aggravent les problèmes causés par une longue période d'incarcération, qui incluent la perte d'identité sociale et professionnelle, l'érosion des relations familiales et de l'expression émotionnelle, de même que la perte d'espoir dans l'avenir.

« Les défis au niveau communautaire ne sont pas seulement unidimensionnels et nécessitent un effort de collaboration. Ce qui se passe au Rwanda est un exemple révolutionnaire et brillant. Nous devrions penser à l'évolutivité de ces initiatives pour un meilleur résultat », a déclaré ée représentant régional principal pour l'Afrique orientale et centrale chez Interpeace, Theo Hollander.

En termes de moyens de subsistance, l'enquête de base a révélé des preuves de difficultés économiques. Les gens luttent pour survivre aussi bien qu'ils le peuvent dans des circonstances défavorables. Un défi clé qui a émergé de l'étude est la faible production agricole qui contribue à l'insécurité alimentaire. Le recours à l'agriculture pluviale, l'accès insuffisant aux terres irrigables, l'utilisation limitée d'engrais et la propriété limitée de bétailsont tous en cause. Les résidents comptent inévitablement sur les marchés pour compléter leurs approvisionnements alimentaires, ce qui à son tour pousse les jeunes à des rôles de travail subalternes afin de générer les liquidités nécessaires, réduisant leur disponibilité pour participer à l'éducation et à la formation. Les compétences professionnelles faisaient défaut dans le district, la grande majorité des personnes interrogées déclarent que leur seule compétence professionnelle est l'agriculture avec des outils de base.

« Notre objectif au Rwanda est de développer des interventions complètes, d'associer des solutions rwandaises locales aux meilleures pratiques internationales et d'utiliser plusieurs types de preuves pour améliorer la santé mentale », a déclaré le directeur exécutif adjoint de Prison Fellowship Rwanda, Ntwali Jean Paul.

L'étude a également évalué les perspectives et la dynamique du genre et des jeunes en termes de santé mentale, de relations familiales, de réinsertion des prisonniers et de moyens de subsistance. Elle a révélé que les femmes du district de Bugesera ont été profondément affectées par le génocide, par diverses voies directes et indirectes. En ce qui concerne la santé mentale, l'étude a révélé que plus de femmes que d'hommes ont signalé des problèmes d'anxiété et de dépression. En ce qui concerne la transmission intergénérationnelle des héritages du génocide, l'étude a identifié deux défis majeurs pour les jeunes ; le premier est de grandir dans une famille dans laquelle les parents souffrent de problèmes psychosociaux étendus en raison de leurs expériences traumatisantes, dans la mesure où cette situation mine leur capacité en tant que parents. La seconde est la difficulté pour les parents de discuter des événements et des expériences qui provoquent souvent chez leurs enfants un sentiment de confusion, de colère ou d'insécurité.

« La santé mentale est cruciale pour faire progresser la cohésion sociale au Rwanda. Les équipes d'Interpeace Rwanda, de la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation, du ministère de la santé et de Prison Fellowship Rwanda ont aidé les Rwandais et le gouvernement à relever ces défis et traumatismes liés à la santé mentale et nous nous engageons à en faire plus avec nos partenaires », a déclaré le président d'Interpeace, Scott Weber.

Les résultats de l'enquête de base ont informé le développement de plusieurs nouveaux protocoles d'évaluation et d'intervention, qui guideront les efforts futurs liés à la santé mentale, à la cohésion sociale et aux moyens de subsistance durables au Rwanda. L'ensemble de ceux-ci comprenait une intervention holistique de santé mentale et de soins psychosociaux combinant des solutions locales rwandaises avec les meilleures pratiques internationales. Plus précisément, les protocoles de dépistage visaient à évaluer la population communautaire et à affecter les participants aux interventions, en fonction de leurs besoins individualisés. Parmi les autres dispositifs développés, il existe un protocole de thérapie axé sur la résilience et un programme de compétences socio-émotionnelles pour les soins de santé mentale ; espace de ressourcement multifamilial et adaptations des protocoles de sociothérapie pour la cohésion sociale ; évaluation des risques et de la résilience des détenus et protocoles de réhabilitation des détenus et feuille de route pour la réinsertion ; ainsi qu'un protocole collaboratif sur les moyens de subsistance pour guider le développement des entreprises communautaires.

Vous pouvez écouter l'enregistrement de la conférence ici : https://spoti.fi/3zOnMod

Notre programme de guérison sociétale au Rwanda renforce les capacités des communautés grâce à une approche innovante et holistique pour accroître les investissements dans la santé mentale, lutter contre les traumatismes et faire progresser la cohésion sociale. Le programme est financé par l'UE à travers son instrument contribuant à la stabilité et à la paix (IcSP).

Côte d’Ivoire : la jeunesse mobilisée contre la violence politique

La Côte d’Ivoire est entrée en 2020 dans un nouveau cycle électoral marqué par des confrontations intra- et intercommunautaires. Alors que les trois quarts de la population ont moins de 35 ans, les jeunes sont souvent stigmatisés et perçus comme étant responsables ou associés à de la violence politique. Pour changer cette vision et contribuer à la mise en œuvre de l’agenda Jeunes, paix et sécurité, Interpeace et son partenaire Indigo Côte d’Ivoire ont lancé un projet visant à améliorer leur participation en tant qu’acteurs et leaders dans la consolidation de la paix et la prévention des violences politiques. Le Livre blanc rassemblant les résultats et bonnes pratiques tirées de cette action a été présenté le 7 septembre 2021 à Abidjan.

En période électorale, un marketing politique polarisant et manipulateur des identités est fréquemment employé par les acteurs politiques ivoiriens de tous bords pour mobiliser leurs électeurs. Cela génère des tensions entre groupes ethniques et religieux, et entretient un climat de défiance et de contestation des résultats électoraux qui peuvent dégénérer en violences intercommunautaires. En 2020, près de 80 personnes ont ainsi trouvé la mort à travers le pays dans des affrontements liés aux élections présidentielles. La participation des jeunes à ces conflits est souvent montrée du doigt par les acteurs locaux, nationaux et internationaux, qui les désignent comme des acteurs « à risque » vulnérables et facilement manipulables. Ces discours ont pour effet de stigmatiser et marginaliser la majorité silencieuse des jeunes hommes et femmes qui restent en dehors des processus de violence, et de déprécier les efforts de celles et ceux qui s’engagent activement au quotidien pour la paix et la cohésion sociale.

C’est également le constat fait par la résolution historique 2250 du Conseil de sécurité des Nations Unies en 2015, qui appelait tous les acteurs concernés à augmenter la représentation et la participation inclusive, effective et réelle des jeunes dans les efforts de consolidation de la paix. C’est dans cet esprit qu’a été conçu le projet « YPS en pratique : auto-analyse et renforcement du leadership des jeunes dans la prévention de la violence politique en Côte d’Ivoire », une action de consolidation de la paix dont les jeunes n’étaient pas les bénéficiaires mais les protagonistes à part entière. En choisissant de sélectionner et d’accompagner des initiatives de jeunes agissant déjà pour la paix et la cohésion sociale, Interpeace et Indigo Côte d’Ivoire ont fait le pari de miser sur la résilience et l’engagement citoyen de ces personnes dans deux quartiers réputés sensibles d’Abidjan, Yopougon et Abobo.

« En Côte d’Ivoire, plusieurs associations de jeunes et de femmes œuvrent activement pour la promotion de la cohésion sociale à travers des initiatives. Cependant, l’implication de cette jeunesse dans les violences électorales et les conflits intercommunautaires, ainsi que la jeunesse radicalisée perpétue une image négative des jeunes », dit Bakary Sidibe, conseiller technique du ministre de la Promotion de la jeunesse, de l'insertion professionnelle et du service civique. « Pour changer ce paradigme et impliquer les jeunes dans les actions de paix et de sécurité, il apparaît nécessaire de guider cette jeunesse et renforcer ses capacités à la mise en œuvre de projets de consolidation de la paix ».

Dans le cadre du projet « YPS en pratique »,  une quarantaine de jeunes leaders œuvrant déjà pour la paix et la cohésion sociale dans leurs quartiers ont été sélectionnés. Après des séances de renforcement de capacités en analyse de conflit et gestion de projets, les jeunes hommes et femmes accompagnés par Indigo Côte d’Ivoire et Interpeace ont conçu et mis en œuvre leurs propres projets de consolidation de la paix et de prévention de la violence électorale à Abobo et Yopougon. Les résultats et bonnes pratiques à répliquer pour mettre les jeunes « au volant » des actions de paix et sécurité ont été rassemblés dans un Livre blanc. Celui-ci a été présenté le 7 septembre à Abidjan devant des représentants de ministères, municipalités, agences des Nations Unies, ambassades, ONG nationales et internationales et autres partenaires techniques et financiers.

En accompagnant ces jeunes, le projet a testé des moyens et outils pour améliorer leur esprit d’analyse, leur stratégie, leur impact et leur collaboration. Lors de l’événement, les participants ont partagé leurs impressions sur les résultats du projet.

"Avant l'arrivée d’Indigo, j’étais membre d'une ONG mais je ne me suis jamais dit que j’allais m’engager devant des gens ou être responsable d’un mouvement. Aujourd’hui, avec toutes les formations, je suis la coordonnatrice d’une plateforme de 40 initiatives au niveau de Yopougon", a dit Kiteni, de l’organisation de l’association des jeunes Tchêlê Woyê.

Ils ont également présenté le travail qu’ils menaient dans leurs communautés. Des jeunes femmes ont formé des ambassadeurs de paix, dont la mission était de sensibiliser leur entourage à la bonne entente entre communautés et d’alerter en cas d’incidents pour permettre la prévention des violences par le dialogue ou la mobilisation des autorités. Une autre initiative a formé des jeunes à la vérification des informations circulant sur les réseaux sociaux pour endiguer le phénomène des rumeurs et fausses nouvelles qui concourent à un climat de tensions et de violence. D’autres ont travaillé à rapprocher des personnes issues de secteurs, religions ou ethnies différents qui ne se fréquentaient pas ou étaient en conflit, à travers des dialogues et des activités d’intérêt général.

« Notre projet a associé toutes les parties prenantes [à un conflit opposant deux quartiers depuis la dernière crise socio-politique]. On a trouvé des solutions pour metre en place un climat paisible. Les populations ont donné elles-mêmes les solutions. Nous avons organsié un match de foot avec deux équipes mixtes des deux quartiers. Les équipes étaient mélangées et il n’y a pas eu de palabre [dispute] à la fin. » a dit Mariama, de l’initiative Jeunesse Unie pour le Développement.

Tous ont ouvert des espaces de discussion permettant aux personnes consultées de parler de leurs perceptions de la paix et de la sécurité dans le quartier, des traumatismes subis pendant les dernières crises, de l’état des relations avec les groupes opposés. Ces espaces de discussion ont souvent permis de réunir et créer un dialogue entre des groupes de personnes qui ne se parlaient jamais bien qu’habitant au même endroit. En adressant les divisions sociopolitiques, religieuses et ethniques dans leurs quartiers, les jeunes leaders ont également participé à la prévention des violence électorales qui pourraient survenir lors de prochaines échéances électorales.

"Lors du phénomènre de circulation des fausses nouvelles, au lieu de bruler les marchandises des Haoussas, [les participants de notre projet] les ont protégés des agressions dans le quartier. " raconte Kiteni, de l’organisation de l’association des jeunes Tchêlê Woyê, en référence à un épisode de violence intercommunautaire survenu le 5 mai à Abobo et Yopougon après la diffusion d’une fausse vidéo. Cette dernière prétendait montrer des Nigériens s’attaquant à leurs voisins Ivoiriens et incitait les habitants d’Abidjan à se venger.

Grâce au projet YPS, les initiatives ont pu prendre conscience du rôle qu’elles avaient à jouer pour la paix, renforcer leurs capacités pour concevoir et mettre en œuvres des actions stratégiques et inclusives, et les communiquer à des décideurs locaux, nationaux et internationaux. A travers toutes ces actions, ces jeunes leaders ont montré que la jeunesse a la capacité d’agir pour la paix et la sécurité.

Citant l’ancien président américain John F. Kennedy, Jean-Luc, membre de l’association Young Ivoirian Promoters of English a ainsi conclu la présentation des résultats du projet en disant : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ».

En Côte d’Ivoire comme ailleurs, les jeunes ont  la volonté et le potentiel pour contribuer à la paix et stabilité dans leur pays. Il revient au grand public, aux acteurs nationaux et internationaux de reconnaître leur rôle important dans la construction de la paix durable et de leur donner des outils de participation dans la prise de décisions politiques et sécuritaires.