Rempart au changement climatique, la gestion des ressources naturelles comme vecteur de paix et de résilience en Afrique de l’Ouest

En Afrique de l’Ouest, les conflits transfrontaliers sont exacerbés par une gestion ineffective des ressources naturelles, souffrant du changement climatique et d’autres pressions socio-économiques. En réponse, Interpeace et ses partenaires locaux ont élaboré des programmes innovants visant à renforcer la collaboration entre les communautés transfrontalières au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Ces efforts cherchent à améliorer la cohésion sociale, promouvoir le développement économique et renforcer la résilience des populations locales face aux chocs climatiques.

Les régions de Sikasso au Mali et des Hauts-Bassins au Burkina Faso sont essentielles à la stabilité et la prospérité du Sahel. “Poumons verts” de la région, ces provinces se démarquent par leur potentiel de productivité agricole et leur positionnement stratégique en tant que carrefours commerciaux. La richesse des ressources naturelles de ces territoires est un pilier essentiel aux moyens de subsistance des habitants, mais constitue également une forme de tension en l’absence de structures de gouvernance et en raison du stress environnemental.

Dynamique des conflits et pressions climatiques

Une recherche menée par Interpeace en 2021, financée par la Fondation PATRIP, fait état de trois dynamiques de conflit majeures transversales affectant plusieurs zones, notamment entre Koloko (Burkina Faso) et Finkolo (Mali), ainsi qu’entre les communautés de la région des Cascades (Burkina Faso) et le Tchologo (Côte d’Ivoire).

Premièrement, la compétition à l’acquisition, l'accès et l’usage du foncier s’est intensifiée puisque l’agriculture demeure le principal moyen de subsistance. Les agriculteurs étendent les limites de leurs terres arables au-delà des frontières traditionnelles, accroissant les tensions liées aux droits d’accès et de culture.

"Un/e agriculteur/rice cultivant un lopin de terre cherche à en repousser les délimitations, générant des conflits avec les autres agriculteurs, qui trouvent les démarcations traditionnelles changées", explique un agriculteur local de Koloko, au Burkina Faso.

Ensuite, la multiplication des conflits entre agriculteurs et éleveurs, de par la raréfaction des pâturages disponibles dû à l’expansion des terres agricoles, qui provoque des affrontements violents avec les éleveurs transhumants, les pasteurs nomades qui migrent saisonnièrement à la recherche de pâturages.

Enfin, l’exclusion des femmes et des jeunes des processus de gestion des conflits affaiblit la résilience communautaire. En dépit du rôle primordial joué par les femmes et les jeunes dans l’usage et la gestion des ressources naturelles, ces segments de la population restent souvent en marge des structures décisionnelles au sein d’une société marquée par une culture patriarcale.

La variabilité du climat, la dégradation des terres et l’usage de pratiques agricoles nocives à l’environnement, de même que l'aggravation de ces phénomènes dûs au changement climatique, font pression sur des réserves de ressources naturelles déjà sur le déclin. À cela s'ajoutent des saisons de pluie de plus en plus courtes, la raréfaction des précipitations, la multiplication des catastrophes naturelles, la déforestation et la désertification, exacerbant les sources de conflit. La migration des éleveurs transhumants vers les zones déjà fragiles a accru les tensions, compliquant ainsi la planification agricole et la gestion du bétail. Les pressions qui en résultent déclenchent des conflits récurrents, à la fois au sein des communautés et entre elles.

Pour favoriser l’édification d’une paix durable dans ces communautés, Interpeace a mis en place une stratégie selon trois axes prédominants : la promotion du dialogue participatif, le soutien de moyens de subsistance alternatifs et l’investissement dans les infrastructures communautaires favorisant le vivre ensemble.

 Renforcer la cohésion sociale par le dialogue communautaire

Interpeace a mis en place une stratégie à trois volets : la promotion du dialogue participatif, le soutien de moyens de subsistance alternatifs et l’investissement dans les infrastructures communautaires favorisant le vivre ensemble.

Le dialogue participatif a été institué via trois axes principaux: la conduite consultations communautaires sous forme de dialogues inter- et intracommunautaires dans la première phase du projet a permis de créer une plateforme de sensibilisation sur la prévention des conflits liés à l’exploitation des ressources naturelles.

Ensuite, la mise en place de commissions transfrontalières, constituées de membres de la communauté, des autorités locales et des agents techniques, : a non seulement servi de cadres pour l’intégration intercommunautaire, mais également d’outils efficaces pour la prévention et la gestion des conflits, au travers de mécanismes de plainte facilitant la résolution pacifique des conflits.

Interpeace, en collaboration avec ses partenaires locaux — les associations SOS Enfants et Esther Vision au Burkina Faso, et Action pour le développement de l’initiative locale au Mali — a mené une série de campagnes de sensibilisation par le biais de conférences et de forums éducatifs. Quatre cadres de dialogue civilo-militaire ont été mis en place, parallèlement à des rencontres éducatives, des foires transfrontalières et des représentations théâtrales communautaires destinées à promouvoir la coexistence dans les zones frontalières.

Ces forums, portant sur la gestion des ressources naturelles le long de la démarcation frontalière, ont attiré plus de quatre mille participants, y compris des dirigeants communautaires et, des autorités administratives et politiques. La mise en lumière du patrimoine culturel et gastronomique local a permis selon les participants de redécouvrir des valeurs partagées et des traditions communes entre communautés transfrontalières.

« Aujourd’hui, nous réalisons l’importance de l’effort collectif. Nous ne pouvons pas atteindre la paix sans travailler ensemble. Maintenant, nous nous comprenons mieux et continuons à travailler ensemble. Grâce aux interventions du programme dans nos communautés, nous priorisons la négociation via des canaux de discussions ouverts », a déclaré Zana Alassane, membre de la communauté de Zanapledougou en Côte d’Ivoire.

La promotion d’une culture du dialogue entre les communautés malienne, burkinabé et ivoirienne a permis de rassembler des populations qui, en raison des tensions passées, avaient cessé de socialiser ou de participer à des événements communs.  

Une diminution significative des tensions liées à l’exploitation des ressources naturelles a été rapportée au cours des deux dernières années. Les rapports d’incidents locaux compilant les données des commissions transfrontalières et des autorités locales n’ont révélé que des incidents mineurs en 2024, sans conflits majeurs liés aux ressources naturelles.

"Le programme nous a ouvert les yeux. Aujourd’hui, nous savons comment nous comporter et, surtout, nous sommes conscients de l’importance de travailler ensemble pour résoudre nos problèmes", a déclaré Coulibaly Blama, un jeune leader dans la communauté d’Ouarga, en Côte d’Ivoire.

 Améliorer les moyens de subsistance pour réduire la pression sur les ressources naturelles

Le programme a également introduit des activités de subsistance alternatives en aidant ces personnes, en particulier les jeunes et les femmes, à développer des initiatives génératrices de revenus, respectueuses de l’environnement et résilientes au changement climatique. Cette approche vise à autonomiser ces membres vulnérables de la communauté, à accroître leur contribution à la cohésion sociale et à réduire leur dépendance vis-à-vis de l’exploitation des ressources naturelles. Les activités comprenaient l’amélioration de la culture des semences, l’élevage de petit bétail et la transformation des produits locaux. Les membres de la communauté ont également appris des techniques agricoles novatrices qui augmentent la productivité sans mobiliser de vastes étendues de terre ou provoquer la dégradation des sols. L’élevage sédentaire de petits ruminants — une pratique durable qui réduit la nécessité d’avoir recours à la transhumance pendant la saison des pluies —, la production de soumbala qui se concentre sur la transformation des produits locaux plutôt que l’exploitation des ressources naturelles et l'apiculture ont contribué à réduire la dépendance à l’exploitation traditionnelle des terres comme seule source de revenu. Ces pratiques ont permis la diversification des moyens de subsistance tout en favorisant la durabilité environnementale et la cohésion sociale.

Des unités communes de transformation, un centre d’élevage de volailles et des entrepôts ont été créés pour favoriser la collaboration et améliorer les conditions socio-économiques. Pour assurer la durabilité de ces initiatives, les membres de la communauté ont reçu une formation sur la gestion des activités génératrices de revenus et la gestion financière.

« Les moyens de subsistance limités causés par le changement climatique ont également été source de conflits au sein de nos communautés. Ce programme nous a aidés à créer des activités génératrices de revenus. Grâce à la formation que j’ai reçue dans la production et la commercialisation de soumbala, j’ai pu accroître ma production et répondre aux besoins de ma famille. Je me concentre sur ce travail, qui a pris le pas sur les sources de tension qu’il y a pu y avoir avec mes voisins”, raconte Odette Sanou.

Investir dans les infrastructures communautaires pour la création d’un intérêt partagé

En complément à ce soutien apporté à la diversification des moyens de subsistance, le programme a permis l’établissement d’infrastructures essentielles à la provision de services publics, à l’image de marchés communautaires modernes, la rénovation de puits d’eau et de barrages, et de centres de santé, favorisant ainsi la synergie entre diverses activités génératrices de revenus et offrant des sites de ressources partagés. Des systèmes d’approvisionnement en eau potable ont également été construits afin de réduire les conflits liés aux ressources hydrauliques.

Ces initiatives ont permis de recréer le lien communautaire et de réduire les tensions, tant au sein des communautés qu’entre elles. Ces infrastructures répondent non seulement aux besoins de la population, mais renforcent également les fondements sociaux et le développement socio-économique.

L’expérience de Sikasso, des Hauts-Bassins et de Tchologo démontrent l’importance du rôle joué par le renforcement de la gouvernance participative des ressources naturelles, la promotion de moyens de subsistance résilients au climat et l’installation d’infrastructures sensibles aux conflits, dans la consolidation de la paix dans les régions fragilisées par les crises et les conflits.

À l’égard des risques liés au changement climatique qui ne cessent de s’accentuer, il est urgent de renforcer ces approches, de soutenir le leadership local et d’intégrer des cadres collaboratifs qui renforcent le lien entre les collectivités et les autorités. Le renforcement de la résilience face aux contraintes climatiques n’est pas seulement un impératif environnemental, mais une priorité en matière de consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest et ailleurs.

 

Brique par brique : construire la cohésion sociale


Dans le cadre du projet “Brique par brique”, Interpeace a accompagné des jeunes, des femmes et des groupes vulnérables dans la mise en place d’activités génératrices de revenus (AGR) respectueuses de l’environnement et adaptées aux changements climatiques. Cette initiative visait à prévenir les conflits et à renforcer la cohésion sociale dans la zone frontalière entre le Mali et le Burkina Faso.

Depuis plusieurs années, cette région est marquée par des tensions liées à l’exploitation des ressources naturelles. En plus de créer des opportunités économiques, les AGR favorisent la collaboration, le vivre-ensemble et la paix.

Ituri : impliquer l’administration foncière pour prévenir les conflits entre les communautés

« Nous sommes tous la terre… c’est mieux que la terre nous nourrisse et nous unisse… ». Face aux tensions foncières observées dans le territoire de Mambasa, dans la province de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC), l’administration a un rôle à jouer pour prévenir les conflits.

Dans le bureau de la division du service de cadastre, la nervosité est palpable chaque jour. En ce petit matin, une palabre vient d’opposer deux familles sur les limites des concessions. Pour le chef de division, le non-respect des procédures d’acquisition de la terre est en cause. Ces scènes de tensions se transforment pour la plupart en des conflits violents si certains membres de ce service ne sont pas suffisamment outillés sur la gestion des questions foncières.

Pour prévenir des affrontements et rétablir la paix entre les communautés, Interpeace a lancé une série de consultations et accompagnements des responsables provinciaux et acteurs locaux de l’administration foncière de l’Ituri. Cette approche est menée dans le cadre de la mise en œuvre du projet "Soutien à la médiation pour la résilience et la paix en Ituri et au Grand Nord-Kivu" financé par l’Union européenne. Elle est pilotée par un consortium de médiation regroupant Interpeace, Pole Institute, Action pour la paix et la concorde (APC) et le Centre de coopération internationale de l’Université de New York.

Fin février dernier, un atelier d’accompagnement technique d’une trentaine d’acteurs locaux pour la résolution des conflits fonciers en territoire de Mambasa a été organisé. "Nous devons nous demander quel est l'héritage que nous allons laisser à la génération future. Nous devons écrire notre histoire. Ce n'est pas évident que nous puissions léguer à nos enfants les conflits, les mésententes ou les mauvaises choses'', a laissé entendre le chargé de programme au sein d’Interpeace, Christian Vangazi, au terme de cette discussion. Au cours de ces deux journées d'échanges, une trentaine de participants, parmi lesquels les leaders communautaires, ont abordé la compréhension de la loi et l’identification des contentieux fonciers. S’en est suivi un plan d'action face aux différends pouvant faire l'objet d'une médiation. l’administration a un rôle à jouer pour prévenir les conflits CONAREF) ont également été évoqués. Face aux tensions foncières observées dans le territoire de Mambasa, dans la province de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC), programme manager at Interpeace.

Au cours des échanges, les participants ont avoué avoir appris de nouvelles connaissances en rapport avec le domaine foncier. Pour eux, cette remise à niveau constitue une école d'apprentissage pour gérer les multiples conflits à Mambasa. "Nous félicitons Interpeace pour ce renforcement de capacité. Moi j'ai été marqué par la procédure d'acquisition de terres et l'historique de la législation foncière. (...) Vraiment merci beaucoup pour ces rappels", a affirmé un agent du service de l'urbanisme présent dans la salle. Et le chargé de relations publiques au parlement des jeunes de Mambasa, Papy Kalala, d’ajouter : « il est important de savoir résoudre les problèmes (...) et la solution passe par une bonne maîtrise du domaine foncier. (...) Cet atelier est une occasion pour nous tous de renforcer nos connaissances en cette matière ».

A travers ce projet, Interpeace souhaite mobiliser tous les membres de l’administration foncière dans la résolution des conflits fonciers pour rétablir la paix et la cohabitation pacifique entre les communautés. « Je vous appelle à nous prêter main forte dans ce que nous faisons afin que nous puissions déraciner tous les conflits et toutes les mésententes que connaît Mambasa. Nous sommes tous la terre et nous retournerons dans la terre » ,a déclaré Christian Vangazi .

Impliqué activement dans la mise œuvre de ce projet, l’administrateur militaire adjoint du territoire de Mambasa a exhorté les participants à ne pas seulement véhiculer les messages mais plutôt à vulgariser le cadre légal mis en place par le législateur. « Nous devons être des modèles dans la conduite des actions sur terrain et être guidés par l'esprit de la loi étant donné que nous agissons au nom de l'Etat congolais » .

Satisfaits, d’autres participants ont avoué que c'est grâce à cette séance de capacitation qu'ils sont à même de faire la distinction entre les services de l'administration foncière et celui de l’aménagement du territoire. "J'étais dans la confusion. Je ne savais pas qui faisait quoi entre les affaires foncières et le cadastre. (...) Je suis très reconnaissant envers Interpeace", a déclaré le chef de service du plan à Mambasa, Jean Maombi. "Avant cette formation, je pensais que chacun pouvait disposer de la terre comme il pouvait. (...) Grâce à cette formation, je viens d'apprendre beaucoup de choses. A nous maintenant de les mettre en pratique afin d'éviter de créer d'autres conflits fonciers à Mambasa", a affirmé pour sa part une conseillère auprès du chef de l’un des quartiers de Mambasa, Asha Hamadi.

Pour la coordination territoriale de la société civile, cette session de renforcement de capacité tombe à point nommé. Selon sa responsable, Marie-Noelle Anotane, il fallait un "rappel à l'ordre des animateurs de l'administration foncière", car d'après elle, "ce sont les services de l'administration foncière qui sont à la base de plusieurs conflits" à Mambasa. Pour rappel, les consultations avec les acteurs de la province de l’Ituri ont été menées depuis mai 2022 pour identifier les organisations œuvrant dans le domaine de la consolidation de la paix. Celles-ci ont permis de toucher les autorités de l’Etat de siège dans la région ainsi que les ONG pour rendre plus opérationnelle la tenue des médiations sur les enjeux conflictuels prioritaires.

Charte des bonnes pratiques pour une mise en œuvre apaisée et effective des processus de Délimitation des Territoires de Villages (DTV) en Côte d’Ivoire

Cette charte présente les bonnes pratiques apprises du projet PAGEFOR (Participation à la Gestion du Foncier Rural) pour améliorer la sensibilisation, l’engagement et l’adhésion des populations aux processus de délimitation des frontières et territoires villageois en Côte d’Ivoire.

Charte des bonnes pratiques pour une mise en œuvre apaisée et effective des processus de Préservation des aires protégées et forêts classées en Côte d’Ivoire

Cette charte présente les bonnes pratiques apprises du projet PAGEFOR (Participation à la Gestion du Foncier Rural) pour améliorer la sensibilisation, l’engagement et l’adhésion des populations aux processus de préservation des parcs naturels, réserves et forêts classées à l’Ouest de la Côte d’Ivoire.

Défis à la délimitation des territoires des villages en Côte d’Ivoire - Le dialogue comme condition de réussite

 

Cette vidéo présente les causes des tensions et blocages induits par les politiques de délimitation des territoires des villages (DTV) en Côte d’Ivoire, et fait ressortir l’importance du dialogue entre communautés, agences techniques et populations pour y faire face.