Mener des analyses de conflit pour éclairer les interventions fondées sur des preuves soutenant le redressement, la stabilité et le développement socio-économique dans le sud de la Libye

Les interventions communautaires établies sur des connaissances contextuelles approfondies sont essentielles à tout programme. Ce projet lance un processus d'analyse participative des conflits dans le but de développer des voies de consolidation de la paix pour un acteur du développement en Libye. Il cherche à établir des preuves sur la manière dont les moteurs et les capacités locales en faveur de la paix peuvent être canalisés dans le contexte d’un programme de développement pluriannuel dans le sud de la Libye. Interpeace travaille aux côtés d'un partenaire local, Fezzan Libye Organisation (FLO), une ONG établie à Sabha. Les deux entités mèneront un processus pour aboutir à des résultats analytiques éclairés, des recommandations établies sur des preuves et des modèles qui contribuent à soutenir et à maintenir les infrastructures locales de consolidation de la paix.

Rétablir le tissu social : favoriser la réconciliation

Les processus politiques et de réconciliation nationaux libyens ne parviennent toujours pas à résoudre une décennie de troubles politiques ni à répondre aux besoins de la population. Le conflit prolongé et plus d’une décennie de griefs non résolus continuent de nuire au bien-être mental des individus. La santé mentale n’est pas une priorité au niveau institutionnel et est fortement stigmatisée au niveau sociétal, empêchant les personnes d’accéder au soutien nécessaire. Interpeace a lancé un projet pilote pour comprendre les besoins au niveau communautaire et comment ils sont liés à la réconciliation en Libye. Des consultations intersectorielles établies sur l'information sont en cours pour explorer les priorités en matière de réconciliation, y compris celles liées au bien-être mental au niveau communautaire, en identifiant un terrain d'entente potentiel, tout en comprenant les différences nuancées entre les communautés. Ces consultations sur les priorités communautaires et les recommandations en matière de réconciliation seront menées à l'échelle nationale et incluront les communautés de l'est, de l'ouest et du sud de la Libye. Le projet cherche à intégrer les priorités locales identifiées dans les processus de réconciliation nationale.

Pour répondre aux besoins de réconciliation à court terme, le projet a mobilisé le réseau d’agents de changement établi lors des phases précédentes de l’engagement d’Interpeace en Libye, pour organiser et faciliter des séances de dialogue visant à atténuer les tensions émergentes. Ces sessions de dialogue en cours se déroulent principalement dans le sud de la Libye, dans les localités d'Al Kufra, Brak al Shati, Ubari et Ghat.

Libye : la valeur ajoutée des processus locaux de paix et de réconciliation

La Libye traverse des mois difficiles alors que le pays se dirige vers les élections du 24 décembre. Le 2 juillet 2021, le Forum de dialogue politique libyen (LPDF), soutenu par l'ONU, n'est pas parvenu à un consensus sur les bases constitutionnelles des prochaines élections. Plus tôt en juin, lors de la deuxième conférence de Berlin, il n'y avait pas eu de progrès significatif en termes de retrait de troupes ou de mercenaires étrangers du pays.

Dans ce contexte fortement divisé, les processus de réconciliation communautaires sont essentiels pour résoudre les conflits découlant des griefs locaux. Cependant, trop souvent, les populations et communautés locales ne sont pas suffisamment impliquées dans les processus de paix de haut niveau. Pour combler ce fossé, Interpeace a réuni un large éventail d'agents de changement impliqués dans l'établissement d'une vision commune des priorités pour la paix afin d'apporter des solutions au niveau local à travers le dialogue communautaire.

Les profondes divisions politiques qui caractérisent la Libye découlent et alimentent les griefs locaux – créant un cercle vicieux et rendant le travail au niveau communautaire d'autant plus important. Depuis 2011, l'engagement d'Interpeace en Libye s'est concentré sur le développement d'infrastructures locales pour la paix et la cohésion sociale. Au milieu de cet état de conflit prolongé, les Libyens sont frustrés par la stagnation politique continue, l'échec des processus de dialogue et les promesses non tenues. Dans le contexte de crise multiforme de longue date en Libye, les espoirs d'une transition démocratique dans les prochains mois sont grands, même avec les derniers revers, mais cette situation est compliquée par de nombreux défis sociaux et politiques en plus du conflit en cours et de la propagation du Covid-19.

Les années de conflit ont également affaibli la cohésion sociale déjà fragile et creusé les écarts dans le pays. Le rétablissement de celle-ci et de l'inclusion doit être une priorité tout en construisant une paix durable dans une situation de conflit aussi complexe que celle de la Libye. À travers son projet « Renforcer la cohésion locale en Libye : une voie vers une paix durable », Interpeace cherche à renforcer les capacités de résilience locale pour une paix durable et à contribuer au développement d'un environnement local pour la stabilité et la croissance future en Libye. Près de 30 communautés bénéficient du programme.

Au cours des dix dernières années en Libye, Interpeace a développé et accompagné un réseau de plus de 200 « agents de changement » ou « facilitateurs de dialogue », à travers le pays, travaillant directement avec la population. Ce groupe est composé d'individus influents de tous âges, sexes et statuts sociaux. Ses membres jouent un rôle important dans la construction d'une paix résiliente en Libye de bas en haut, en veillant à ce que les communautés engagées soient équipées pour être plus résilientes aux conflits, en particulier au niveau communautaire. Cette initiative vise à catalyser la collaboration entre les communautés libyennes et avec les autorités nationales, pour établir une vision commune des priorités pour la paix à travers le renforcement des plateformes de dialogue et celuides capacités des agents de changement dans les communautés locales. Cet effort est soutenu par le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères et le Département fédéral suisse des Affaires étrangères.

« Sur le plan pratique, j'ai été grandement responsabilisé dans ma participation sociale. Il y avait certaines activités dont je me suis tenu à l'écart, pensant qu'elles appartenaient aux spécialistes, et je n'y ai jamais participé. J'ai senti que cela [l'engagement dans l'initiative] m'a donné le courage de participer. Je restais à l'écart de ceux qui avaient des idées et des positions opposées, mais j'ai commencé à intervenir de manière positive. Si une situation difficile survient, j'essaie de trouver des solutions constructives », explique une agente de changement de Tobrouk.

Dans le cadre du programme, Interpeace met en place diverses initiatives pour rassembler des agents de changement basés dans différentes parties de la Libye et soutenir leurs efforts pour construire un environnement social pacifique. Le rassemblement le plus récent a eu lieu à Tunis du 20 au 28 juin 2021. Il a été organisé pour aider ces dirigeants et influenceurs communautaires à identifier et à résoudre les problèmes prioritaires au sein des communautés.

« Cette expérience peut être caractérisée de deux manières : nous avons établi des relations dans toutes les villes libyennes en maintenant une communication directe. Je veux dire, maintenant j'ai des amis dans chaque ville libyenne et je peux dire que 60% de l'avantage que j'ai gagné est le fait que je connais personnellement des jeunes de toutes les villes et de différents domaines. […] Personnellement, j'ai rencontré des personnes influentes dans différentes communautés, des personnes sages et des personnes influentes dans la société civile. […] Nous savons que la méfiance peut exister entre les individus envers les organisations internationales travaillant en Libye, mais Interpeace a une approche différente – c'est une expérience particulière », explique un agent de changement de Tobrouk.” explains a male change agent from Tobruk.

Quarante personnes divisées en deux groupes ont participé à des sessions de quatre jours pour chacun d’entre eux. L’atelier a été organisé pour donner aux facilitateurs de l’Est de la Libye les compétences et les outils requis pour des dialogues communautaires adaptés à leur contexte local.

« Je suis timide – même quand j'ai quelque chose à dire, je préfère rester en retrait, me taire. Je ne suis pas sociable par nature, je préfère rester à la maison. Ma participation aux ateliers […] m'a donné envie d'exprimer mon point de vue qu'il soit accepté ou non par l'autre partie. Maintenant, sur le plan social, j'ai le pouvoir de participer aux projets en cours en Libye, tels que le renforcement du rôle des femmes dans les processus électoraux, en tant qu'électrices ou en tant que candidates, ainsi qu'au niveau de la réconciliation nationale », explique une femme agente de changement d'Al-Baida.

Ce travail est essentiel avec les changements actuels qui ont lieu dans le contexte politique sensible de la Libye et à l'approche des élections dans lesquelles les communautés joueront un rôle clé.

The role of the change agents will be critical in the eventual implementation of a political agreement in bringing public support, particularly among civil society, who are likely to be key champions of any peace outcomes negotiated. The sustainability of a political solution will be dependent on a shared societal agreement about what peace means and what it entails, but also community engagement –going beyond simple outreach - as an actual process of inclusion in the implementation to ensure sustainable peace,” concluded Renée Larivière, Senior Director for Programme Management at Interpeace.

Renforcer la cohésion locale en Libye : une voie vers une paix durable

Entre 2015 and 2016, six communautés ont été couvertes par le processus d’identification de la paix. Ce nombre a augmenté depuis à 13 après des consultations régulières dans l’ouest et le sud. Des discussions et un travail préparatoire avec différentes parties prenantes ont été menés pour l’élargir encore à six autres communautés dans l’est du pays. En 2018, le programme a établi un réseau d’agents du changement avec plus de 200 dirigeants de communautés ou influenceurs de 12 populations dans l’ouest et le sud de la Libye qui ont été activés et formés en analyse et changement des conflits, facilitation du dialogue et résolution des conflits. Ceux-ci mènent actuellement des efforts pour réduire les niveaux de conflit et de violence à l’intérieur et entre les communautés activées et renforcer la cohésion sociale intra- et intercommunautaire. La culture de dialogue a été étendue, certaines communautés ayant été antagonistes avant le début du projet.

En 2022, le programme veut continuer d’étendre le réseau d’agents du changement dans d’autres parties du pays et garantir un soutien continu pour ce travail, de même qu’utiliser ce dispositif pour faire avancer la cohésion sociale et la paix positive dans les communautés et au niveau national.

Fostering sustainable peace in Libya – Managing tensions in the Nafusa Mountains

This is the story of Tamzin, a Libyan community that maintained its neutrality and peace in times of conflict. Located in the Nafusa Mountains of Northwestern Libya, Tamzin is a small town with a population of about 6,000 people, slightly more residents than Interlaken, Switzerland. Like Interlaken, Tamzin has a pharmacy, snack shops, stores, places of worship and occasionally snow in the winter. Amidst years of war, Tamzin has remained peaceful, fostering good practices and serving as an example for neighboring towns.  

The Nafusa Mountains Valley, home of Tamzin and its neighbors. Photo credit: Ahmed Labnouj

Communities divide as political tensions rise

Since 2011, the legacy of the Libyan revolution resulted in continued political and social tensions. Across the country, communities that once co-existed peacefully, suddenly began to resurrect old wounds, which were fueled by historical disagreements. In 2014, issues between various Libyan political camps resulted in violence, which spread from Tripoli to Benghazi and other parts of the country. As a result, new political bodies emerged, which competed for followers and power. Some communities stayed impartial, while others actively supported one party over the other. The competition between these political parties extended throughout different communities and inevitably tensions worsened. In this troubled time, the community of Tamzin remained neutral.

Tamzin has a history of fostering and sustaining peace. At the height of the revolution, it was one of the few communities that was not militarized. Unlike other communities across Libya, it did not develop a military council or a heavily armed local militia.

Reducing violence through inclusive dialogue

Over a year ago, violence erupted between Tamzin’s neighboring towns of Kabaw and Tiji. These two communities struggled with fights on and off since 2011. As a result, the people of Tamzin, who had developed their dialogue facilitation skills with Interpeace, decided to get involved and reduce the tension between their neighboring communities. The people of Tamzin took advantage of their good relations with both communities, as well as their impartial reputation during moments of conflict, and worked with the people of Kabaw and Tiji to end the fighting, as well as help prevent it from spreading to other neighboring communities.

Traditionally in Libya, elders in the communities are the ones tasked with reaching out to each other to resolve community problems. The Tamzin people put in practice the new skills learned with Interpeace and promoted the participation of all sectors of the communities to identify and resolve conflict. In an attempt to put an end to the conflict between their neighboring communities, peacebuilders from Tamzin held consultations in Kabaw and Tiji, inclusive of all aspects of society for over a week.

According to Hassan[1], a Tamzin peacebuilder who facilitated discussions, “several methods and tips from Interpeace were used during those dialogue sessions. One of them was to trigger 'behind the scenes', informal moments to improve interpersonal relations over common values. After sharing traditional dates and buttermilk during a break, participants smoothened their tones and declared that since they had broken bread together, they should not leave the room without an agreement.”

By gathering all sectors of the communities, a clear peace plan between Kabaw and Tiji was established. To this day, the peace plan holds because it was lead and  developed  by the very people affected by the tensions, and as a result guaranteed its sustainability.

Asked about the evolution of the situation over the past year, Hassan reflected that “the dispute resolution enhanced stability in the whole Nafusa Mountain region.” According to him, improved relations between Kabaw and Tiji trickled down positively on the economic trade and social linkages of all communities, as illustrated by a rise in inter-communal marriages.

Change agents designing their community dialogue sessions during an Interpeace workshop in February 2018. Photo credit: Interpeace

A peace mapping process

Interpeace and its local partners have worked in Libya since 2011, with the aim of building an architecture for peace in the divided country. Through a peace mapping process, the views on obstacles to peace and stability of hundreds of Libyans have been documented, with the objective of highlighting the numerous, but less visible communities, that have remained relatively stable despite the conflict in the region.

Interpeace began working with the people from Tamzin in 2016, to better understand the conditions and coping mechanisms developed in the community to deal with the conflict that surrounds them – extracting the lessons learned from this community and others like it can help others across Libya build their own peace and stability. With the help of Interpeace, women and men from Tamzin were able to build on their own peaceful history and study more ways to help others engage in inclusive dialogue, without resorting to violence. For the past two years, community members learned to lead and facilitate dialogue to resolve problems, and created a group gathering over 200 people from the city, Tripoli and the diaspora, to mediate conflicts and seize joint opportunities for local regional development.

Learning from communities like Tamzin, that remain peaceful in conflict-affected environments, can help contribute to the overall peacebuilding and reconciliation efforts in Libya. By strengthening their capacity for resilience through dialogue and inclusion, violent conflict can be reduced in the region.


[1] The name has been changed to protect the identity of the dialogue facilitator.

Libye

Interpeace est active en Libye depuis 2011. Le travail a été lancé au travers d’une première phase dun processus d’identification des parties prenantes et des différentes questions qui a couvert l’ensemble du pays. Depuis, l’objectif du programme est d’établir une infrastructure pour la paix en Libye. Une phase pilote a été menée dans le Sud-ouest qui a mené jusqu’en un processus d’identification qui a consulté plus de 500 Libyens sur les obstacles à la paix et la sécurité dans le pays. Après des violences mi-2014 entre différents camps politiques qui ont empêché le programme planifié, Interpeace a lancé son projet “d’identification de la paix”. Au lieu de mettre l’accent sur la violence, cette étude a porté sur les dynamiques dans les communautés qui sont restées pacifiques tout en étant entourées par de l’instabilité. Elle a souligné les nombreuses résiliences, moins exposées, observées dans celles-ci. Elle a aussi montré ce qui contribue positivement à cette résilience, donnant des indications utiles pour démarrer des initiatives de stabilisation.

S’appuyant sur cette recherche, le programme est entré dans sa seconde phase qui a cherché à renforcer les capacités locales de résilience au travers du dialogue et a progressivement établi des poches de stabilité dans le pays. Il a lancé et encadré un réseau d’environ 200 agents du changement, des Libyens de tous âges, sexes et statuts sociaux, qui sont centraux dans leurs communautés. Ceux-ci ont reçu une formation sur l’analyse et le changement des conflits, la facilitation du dialogue, la résolution des conflits et la médiation pour devenir consolidateurs de paix auprès de leur population. Ce réseau est central dans le travail d’Interpeace en Libye, notamment pour les capacités locales de résolution des conflits dans le pays et il constitue un point de départ pour une infrastructure locale pour la paix. Il est actuellement mobilisé pour comprendre les dynamiques de conflit dans le sud de la Libye et les attentes locales pour la réconciliation. A l’avenir, Interpeace va chercher à établir une alliance mutisectorielle et à plusieurs niveaux pour la santé mentale, la consolidation de la paix et le développement avec l’objectif de répondre aux besoins multidimensionnels des Libyens de manière intégrée.