Ituri : Les autorités coutumières prennent leurs responsabilités pour pacifier leurs communautés

Radio communautaire Tuendeleye de Gety. Journal du matin. C’est encore le message du secrétaire administratif de la chefferie des Walendu-Bindi qui est dans les titres ce 16 août dernier. Martin MATATA KAWA appelle les communautés à la cohésion sociale, après des affrontements ayant opposé deux villages du groupement zadu à plus de 60 km au sud de la ville de Bunia, en province de l’Ituri. Selon des sources concordantes, cette situation a coûté la vie à un chef de village et 91 maisons ont été incendiées. Le lendemain déjà, une délégation composée des notables de la zone s’active pour calmer la tension, à l’initiative du chef de chefferie. Fidèle Mongalyema croit que la stratégie qui cherche à mettre les parties en conflit autour d’une même table reste la seule alternative. Il affirme avoir tiré cette expérience des retombées des formations reçues dans les activités du projet soutien à la médiation pour la résilience et la paix en Ituri et au Grand Nord-Kivu, financé par l’Union européenne. « J’avais du mal à mobiliser les notables des différents villages après des échauffourées opposant certaines entités. Aujourd’hui, nous avons mis en place une commission pour aller échanger directement avec les personnes concernées, pour une médiation. Des acquis que j’ai tirés des séances de renforcement de capacité reçues de Pole Institute sur la gestion et la prévention de conflits », témoigne-t-il.

Comme lui, certains de ses collaborateurs se sont déjà approprié l’approche du projet pour rétablir la paix entre les membres des communautés ayant des différends. Patrick Bandru kazi est le chef de village TSEDE. « Je rencontrais des difficultés pour trancher certains jugements. J’étais parfois dans l’obligation de transférer certains dossiers à la police. Aujourd’hui, grâce à ce projet, je suis en mesure de m’assumer. Il m’arrive à ce jour de concilier cinq cas de conflits par semaine », se réjouit-il.

En sillonnant le centre de Gety, les témoignages des habitants démontrent en partie le niveau d’implication des autorités, notamment pour mettre fin aux conflits entre agriculteurs et éleveurs. Ces tensions se soldaient généralement par des violences sanglantes. AWIRA VETSI est une habitante de la chefferie de Walendu-Bindi. Elle parle de l’historique de cet enjeu majeur que le consortium médiation composé d’Interpeace, Pole Institute, Action pour la paix et la concorde (APC) et l’Université de New York a pu lister en termes de priorités pour pacifier la région. « Avant l’organisation des ateliers portant sur les techniques de médiation, les bêtes pouvaient dévaster des champs entiers. En représailles, les propriétaires de certaines concessions pouvaient s’en prendre à des bêtes jusqu’à les décapiter. Et dans l’incapacité de réconcilier certains habitants, le service de l’Etat pouvait infliger des amendes exorbitantes aux parties », dit-elle.

« Ce qui occasionnait la résurgence de la haine entre les communautés », explique-t-elle. Depuis la tenue d’une série d’ateliers de renforcement des capacités sur la médiation organisée par Pole Institute, il y a plus d’une année, les chefs coutumiers formés prennent des initiatives pour la résolution pacifique des conflits. ODUDHU NZILA Christophe, membre d’une structure de taximan-moto, confirme que certaines autorités qui ont été accompagnées viennent les sensibiliser pour la résolution pacifique des conflits de leadership qui surgissent pour la plupart entre certaines associations des motards. « Les taximen peuvent se bagarrer mais ils se réunissent pour résoudre leur différends grâce aux différentes séances de sensibilisation menées par les chefs coutumiers », précise-t-il. Et pour cause, « le chef d’un parking donné par exemple ne digère pas bien le fait que celui d’un autre point de stationnement des motos arrête son taximan et vice-versa ».

 

La chefferie de Walendu-Bindi a connu un regain d’insécurité depuis 2006 avec l’arrivée massive des déplacés des entités environnantes. Ces derniers étaient venus avec du bétail avant d’occuper certains espaces réservés à l’agriculture, occasionnant ainsi des atrocités à la suite de la dévastation des cultures par des bêtes.

Depuis seulement deux ans environ, une accalmie est observée grâce à l’implication de certaines autorités coutumières, soutenues par quelques organisations humanitaires, fait savoir AWIRA VETSI, membre d’une structure féminine de Gety. Elle cite par exemple l’ONG locale Appui à la communication interculturelle et à l’auto-promotion rurale (ACIAR) qui a lancé une campagne de sensibilisation sur la cohabitation pacifique avant la mise en place de mécanismes de paix par Pole Institute, d’une part, et Alerte internationale, d’autre part, dans le territoire d’Irumu.

 

Promouvoir un journalisme considérant la santé mentale et le soutien psychosocial (MHPSS) pour la consolidation de la paix au Rwanda

Le récent Rapport mondial sur la santé mentale publié par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2022 souligne le faible niveau de connaissances sur cette question comme l'un des principaux obstacles à la santé mentale et au soutien psychosocial (MHPSS) dans le monde. Les médias, qu'ils soient traditionnels ou nouveaux, jouent un rôle central dans l'élimination de ces barrières en éduquant la société, en plaidant et en sensibilisant. Ironiquement, les professionnels des médias eux-mêmes manquent souvent de connaissances et de compréhension adéquates en matière de santé mentale.

Dans le cadre de son programme holistique de consolidation de la paix axé sur la MHPSS pour promouvoir la guérison sociétale et la réconciliation au Rwanda, Interpeace a organisé une session de formation pour les journalistes. L’objectif était d’accroître leurs connaissances, leurs compétences et leur compréhension de cette question.

La formation de deux jours a eu lieu en août 2023 et a offert des outils et des compétences essentielles à 26 participants issus de divers médias locaux, garantissant ainsi leur capacité à produire du contenu professionnel en matière de MHPSS et de consolidation de la paix qui respecte les normes éthiques.

La participation des médias aux processus de consolidation de la paix et de MHPSS est primordiale au Rwanda, où la population continue de lutter contre des troubles de santé mentale résultant du génocide perpétré contre les Tutsi il y a près de trois décennies.

La formation comprenait des théories, des études de cas et des exercices pratiques pour approfondir la compréhension des participants sur la santé mentale et les considérations éthiques qui doivent guider leurs reportages. Ceux-ci ont salué ce dispositif pour avoir renforcé leurs capacités et éveillé leur volonté de réaliser des reportages sensibles à la santé mentale.

La production de programmes et de rapports approfondis et bien documentés favorisera le plaidoyer auprès des diverses parties prenantes, notamment les responsables gouvernementaux, les experts et les donateurs, dans le but de faire progresser et d'influencer les politiques et pratiques de santé mentale dans le pays.

L'un des journalistes radio les plus influents, Oswald Mutuyeyezu, a exprimé son souhait d'avoir des ateliers réguliers. « Nous avons beaucoup appris de cet atelier. Nous avons compris les troubles/maladies de santé mentale les plus récemment diagnostiqués au Rwanda ainsi que les techniques et approches nécessaires pour en rendre compte. Même s'il peut être trop exigeant d'organiser cette formation tous les mois, je suggère qu'elle soit organisée au moins tous les trimestres pour rafraîchir nos esprits et nos connaissances », a-t-il dit.

Scovia Mutesi, journaliste indépendante, influenceuse des médias sociaux et propriétaire du journal en ligne « Mama Urwagasabo » et d’une chaîne YouTube, a proposé d’élargir la formation pour inclure des journalistes plus jeunes afin d’assurer la pérennité de l’initiative.

Les participants se sont engagés à produire davantage de contenu lié à la MHPSS et à la consolidation de la paix pour éduquer les communautés et les sensibiliser. Cette approche contribuera à une augmentation de l'utilisation des services de santé mentale dans le pays, qui s'élève actuellement à 5,3 %. Elle oeuvrera pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination profondément enracinées auxquelles sont souvent confrontées les personnes vivant avec des problèmes de santé mentale, qui entravent la demande de soins.

Interpeace a organisé l'atelier de formation en partenariat avec la Commission rwandaise des médias (RMC), l'organisme de régulation du secteur des médias au Rwanda, chargé de renforcer ses capacités. Le secrétaire exécutif de celle-ci, Emmanuel Mugisha, a salué le partenariat pour l'organisation de cette formation. Il a en outre encouragé les journalistes formés à utiliser les compétences acquises pour renforcer leur professionnalisme et remplir leur rôle de quatrième pouvoir.

« Nous croyons en votre capacité et votre pouvoir de conduire le changement. Par conséquent, nous prévoyons une augmentation des histoires, des documentaires et des programmes qui éduquent les Rwandais sur la santé mentale et plaident en faveur d’un système de santé mentale solide et décentralisé. Cette formation jette les bases d'un partenariat solide et fructueux entre Interpeace et le secteur des médias dans la promotion de la MHPSS et de la consolidation de la paix au Rwanda », a-t-il déclaré.

Décentralisation des services de santé mentale et de soutien psychosocial au Rwanda

Près de trois décennies après le génocide contre les Tutsi, les Rwandais en subissent encore les effets sur la santé mentale, le développement socio-économique, la cohésion sociale et la réconciliation. La récente enquête sur la santé mentale au Rwanda menée en 2018 par le Centre biomédical du Rwanda (RBC) a révélé que la prévalence des troubles sur cette question au sein de la population rwandaise est supérieure à la moyenne mondiale et est particulièrement élevée parmi les survivants du génocide. Les études d’Interpeace ont corroboré les conclusions de ce dispositif. Les maladies mentales les plus fréquemment diagnostiquées sont la dépression majeure, le trouble traumatique post-stress, l'anxiété, le trouble panique, la dépendance à une substance et la phobie sociale. Pour faire face à ces conséquences de longue date, il est primordial de renforcer et de soutenir la décentralisation du système national de santé mentale et de soutien psychosocial.

Au cours des 20 dernières années, le gouvernement du Rwanda a déployé des efforts considérables pour décentraliser les soins de santé mentale dans les hôpitaux de référence et de district et les intégrer aux soins de santé primaires (centres de santé) à travers le pays. Cependant, le pays reste confronté à des défis tels que l'ampleur des besoins en santé mentale qui dépasse la capacité des professionnels disponibles, la faible sensibilisation et connaissance des problèmes de santé mentale, la médiocrité des infrastructures et la faible utilisation des prestations sur ces soins, qui s'élève à 5,3 %.

Grâce à son programme de guérison sociétale mis en œuvre avec le soutien financier du gouvernement suédois, Interpeace travaille avec le ministère de la santé par l'intermédiaire du RBC pour trouver des solutions innovantes à ces défis. Le programme renforce les capacités des professionnels de la santé mentale grâce à la formation et à la distribution d'équipements. Avec ses partenaires tels que Prison Fellowship Rwanda, Haguruka, Dignity in Detention (DIDE) Rwanda et Groupe des anciens étudiants rescapés du génocide (GAERG), Interpeace a également lancé une approche de guérison communautaire connue sous le nom de protocole thérapeutique axé sur la résilience, un traitement de groupe en plusieurs phases pour la régulation émotionnelle, l'autogestion comportementale et le développement de l'identité pour compléter l'approche individuelle habituellement utilisée dans les établissements de santé à travers le pays.

En juillet 2023, Interpeace a encadré 58 psychologues cliniciens et infirmiers en santé mentale de sept hôpitaux de district, 32 centres de santé et quatre établissements pénitentiaires des cinq districts d'intervention du programme, à savoir Musanze, Nyabihu, Nyamagabe, Nyagatare et Ngoma, pour appliquer des thérapies axées sur la résilience au niveau du centre de santé.

Clementine Sezicyeye, infirmière en santé mentale à l'hôpital de Kigeme, dans le district de Nyamagabe, dans le sud du Rwanda, fait partie des stagiaires. Son unité reçoit chaque mois plus de 200 cas de divers troubles de santé mentale. Elle propose principalement des traitements médicamenteux. Elle est convaincue que les espaces de guérison communautaires axés sur la résilience contribueront à garantir un accès facile aux soins de santé mentale pour un plus grand nombre de personnes.

« L’approche individuelle que nous utilisons est bonne et efficace, mais elle ne nous permet pas d’aider autant de personnes que l’exige l’ampleur des besoins. Nous avons appris une nouvelle approche de groupe qui nous permet d'aider plusieurs personnes en même temps avec la possibilité d'animer plus de deux groupes par semaine. Il s’agit d’une solution innovante à ce défi. Nous sommes prêts à mettre en œuvre ce protocole », a commenté Mme Sezicyeye.

Les professionnels de santé encadrés animeront des espaces de guérison axés sur la résilience établis dans leurs centres de santé, pouvant accueillir un groupe de 10 personnes chacun. Celles-ci assistent à des dialogues de guérison pendant une période de 30 semaines, constitués de 24 séances de guérison hebdomadaires et de six séances de suivi. Les membres de la communauté sont répartis dans des groupes de guérison adaptés après des séances de dépistage menées dans les communautés pour évaluer le niveau de leur détresse psychologique et leurs besoins.

Le programme a soutenu les centres de santé et les hôpitaux en leur distribuant des tablettes électroniques pour une collecte et une gestion des données pendant les processus de dépistage et de guérison. Ils recevront également des motocyclettes pour faciliter le transport des professionnels de la santé mentale vers les communautés éloignées.

« De nombreuses personnes dans les communautés ne savent même pas ou ne reconnaissent pas qu’elles ont des problèmes de santé mentale et d’autres le savent mais ont des moyens limités pour accéder aux soins de santé. En tant que centre de santé, nous disposons d'un budget très limité pour organiser des activités à grande échelle dans les communautés. Je crois que nous permettre de les atteindre est la meilleure façon de les soutenir », a déclaré Emmanuel Mbarushimana, chef du centre de santé de Muhoza, dans le district de Musanze, province du Nord du Rwanda. Il a ajouté que les séances de dépistage communautaires seront une opportunité de mener des campagnes de sensibilisation pour accroître la prise de conscience et les connaissances des membres de la communauté ainsi que lutter contre la stigmatisation à laquelle les personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont généralement confrontées.

Le faible niveau de connaissances en matière de santé mentale parmi les responsables des centres de santé constitue toujours une pierre d'achoppement à la prestation de services. Les 32 chefs de ces sites dans les cinq districts du programme ont été encadrés pour accroître leurs connaissances et renforcer leurs capacités en matière de soins de santé mentale et de soutien psychosocial. «Mes collègues et moi avions l'habitude de sous-estimer le travail des psychologues et des infirmières en santé mentale parce que nous connaissions peu ce qu'ils font et ce que cela nécessite. Nous les avons souvent utilisés comme personnel de secours lorsque nous étions confrontés à une pénurie de personnel. Maintenant, j'ai compris qu'ils font beaucoup de travail et ont besoin de plus de temps et d'espace sûr », a déclaré M. Mbarushimana.

Grands Lacs : le mentorat de jeunes innovateurs comme catalyseurs du changement

La région des Grands Lacs de l'Afrique a une histoire complexe marquée par des périodes de conflit, d'instabilité politique et de défis sociaux. Dans ce contexte, les jeunes possèdent un potentiel inexploité de catalyseurs de changement positif. Leur capacité à promouvoir la paix au sein de la communauté repose non seulement sur leurs qualités uniques, mais aussi sur leur détermination à participer activement à la construction d'un avenir meilleur. Reconnaître, nourrir et soutenir ce potentiel est essentiel pour construire une paix et une stabilité durables dans la région.

Interpeace, en partenariat avec le Refugee Law Project, le Centre d’alerte et de prévention des conflits (CENAP), Never Again Rwanda (NAR), Action pour la paix et la concorde (APC) et le Pole Institute, forme de jeunes innovateurs âgés de 18 à 30 ans à prendre part aux processus de gouvernance, de consolidation de la paix et de développement en Ouganda, au Burundi, au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC). Le programme de renforcement des capacités et de mentorat de ces personnes consiste en trois sessions en face à face et deux sessions à distance. Les jeunes innovateurs, hommes et femmes, sont sélectionnés sur la base de leur expérience et de leur engagement à lancer des initiatives positives de consolidation de la paix dans leurs communautés et dans la région au sens large. Le dispositif leur fournit les outils et les conseils nécessaires pour canaliser leur créativité et traduire des idées novatrices en projets réalisables.

Au début du mois d'août dernier, de jeunes innovateurs de la région des Grands Lacs se sont rendus à Kigali, au Rwanda, pour une session de formation au mentorat en personne. Les innovateurs ont présenté leurs idées à un groupe diversifié de parties prenantes, y compris des représentants des organisations partenaires, en vue d'obtenir des subventions pour soutenir leurs projets de plaidoyer et de cohésion sociale. Cette troisième session en face à face a aussi servi de plateforme pour transmettre des compétences vitales telles que la guérison des traumatismes, l'engagement communautaire, la sensibilité au genre et aux conflits dans la gestion de projet et la pensée critique. Ces compétences les aideront à mieux finaliser leurs initiatives et à les mettre en œuvre.

Dans la région des Grands Lacs, les problèmes de santé mentale ont largement augmenté chez les jeunes. Ils sont encore aggravés par les expériences et les circonstances particulières résultant des conflits passés et des troubles politiques actuels. Conscient de ce problème pressant, le programme de mentorat de jeunes a intégré une session spécialisée sur la santé mentale. Ndahiro Derrick Alte, un jeune innovateur rwandais encadré par NAR, a reconnu l'impact que la formation a eu sur lui : "La troisième formation en face-à-face au Rwanda a été une expérience transformatrice qui m'a donné l'occasion d'approfondir le monde compliqué des traumatismes, leurs causes et leurs effets sur les individus et les communautés. J'ai également pu acquérir des connaissances et des outils sur la meilleure façon de faciliter la guérison, à la fois pour moi-même et pour d'autres personnes qui sont sur la voie du rétablissement de la santé mentale".

La session sur la santé mentale a non seulement permis aux jeunes de mieux comprendre les traumatismes, mais elle les a également dotés d'outils et de techniques pratiques leur permettant d'offrir un soutien compatissant à ceux qui ont besoin de guérir.

"J'ai vraiment apprécié la formation à Kigali ! J'ai appris que le stress est différent du traumatisme ! Et que le stress peut nous donner un coup de fouet, alors que le traumatisme peut entraver notre développement personnel !

La thérapie est le meilleur moyen de traiter les traumatismes et de permettre aux gens de se développer malgré leurs expériences traumatisantes", a apprécié une jeune innovatrice de la RDC encadrée par le Pole Institute, Judith Balerha.

Le voyage a commencé avec la première session "face à face", où ces personnes se réunissent pour acquérir les compétences générales et techniques essentielles nécessaires à la mise en place d'initiatives de paix menées par les jeunes. La deuxième session "en personne" s'avère être un point crucial du processus. Il s'agit d'affiner le développement de l'initiative et d'élaborer des plans stratégiques pour les projets pilotes. La deuxième session d'apprentissage à distance marque une étape importante dans ce processus. Les organisations partenaires conseillent, soutiennent et affinent méticuleusement les initiatives jusqu'à ce qu'elles soient prêtes à être mises en œuvre. Chaque session de mentorat s'appuie sur les progrès réalisés lors des sessions précédentes. Le programme culmine avec la troisième et dernière session de formation en face à face, qui aboutit à la validation et au financement des projets des jeunes innovateurs dans la région des Grands Lacs.

S'exprimant sur l'importance du dispositif, le responsable du programme Interpeace, Salvadore Safari Shamaba, souligne que la formation en face à face a permis aux jeunes d'échanger sur le contenu de leurs initiatives et de capitaliser leurs expériences mutuelles pour les enrichir avant qu'elles ne soient validées.

"Ces initiatives permettront aux jeunes innovateurs impliqués dans le programme régional de mobiliser les jeunes de la région et d'en faire des catalyseurs pour une paix durable dans la région des Grands Lacs. Grâce à ce financement, ces jeunes innovateurs mettront en œuvre des activités visant à renforcer la cohésion sociale et les capacités. Ils présenteront les résultats de celles-ci aux différents partenaires techniques et financiers de la région pour les pousser à promouvoir les initiatives menées par les jeunes dans la région des Grands Lacs", a déclaré M. Salvadore.

Le programme des Grands Lacs, financé par l'Union européenne et la Coopération suisse au développement, témoigne de la résilience, de l'innovation et du dévouement inébranlable des jeunes des quatre pays pour mener à bien la transformation de leurs communautés. Il s'agit d'un récit de collaboration, d'un voyage d'innovation et d'une vision réalisée grâce à l'esprit d'autonomisation des jeunes.

"Nous étions libres de présenter nos initiatives et de les défendre devant nos mentors. Après plusieurs sessions de formation, nous pouvons maintenant mettre en pratique ce que nous avons appris. Notre objectif est de promouvoir la cohésion sociale dans la région des Grands Lacs en rassemblant les jeunes autour d'initiatives", a déclaré une jeune innovatrice de la RDC parrainée par APC, Françoise Mwiriri.

Ituri : Confisquées par des miliciens, des entités sont rétablies aux chefs coutumiers à travers des consultations

Il peut désormais se faire entourer des membres de son comité de sécurité. Lui, c’est Jean Gaston Herabo, le chef de chefferie d’Andisoma, dans le territoire d’Irumu en province de l’Ituri. En pleine réunion, ce jeudi 8 juin, il est accompagné de responsables de différents services assis à ses côtés pour statuer sur la situation générale de son entité. « Nous pouvons désormais jouir de notre pouvoir. Actuellement je peux me rendre à Gety comme dans d’autres villages sous ma juridiction », se réjouit-il. Pourtant, il y a environ trois mois seulement, toute cette zone était sous l’emprise de la milice du Front patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC).  Pendant plus de cinq ans d’occupation par cette milice, l’autorité de l’Etat était bafouée. Ici, toutes les compétences réservées aux chefs coutumiers étaient entre les mains des leaders de ce groupe armé. Ceux-ci « pouvaient organiser des jugements et même emprisonner les coupables avant de leur infliger des amendes en lieu et place des autorités territoriales », ont fait savoir plusieurs témoins. Cette situation a affecté l’accessibilité et la cohabitation entre les communautés des plusieurs entités du territoire d’Irumu.

En février dernier, le projet soutien à la médiation et la résilience pour la paix, financé par l’Union européenne, s’est lancé dans une bataille pour faciliter la restauration de l’autorité de l’Etat. A travers Pole Institute, une série de consultations avec les groupes armés a été amorcée en appui au Programme de désarmement, démobilisation et relèvement communautaires (P-DDRCs). Début juin, pour la première fois, le groupe armé FPIC a accepté de rencontrer l’administrateur militaire du territoire d’Irumu, dans le cadre d’une activité d’accompagnement du processus de médiation tenu à Nyakunde dans la même région. « C’est pour la première fois de vous rencontrer après votre retranchement dans les maquis. Je suis venu prendre contact avec les nouveaux responsables du groupe armé FPIC/CHAMBRE NOIRE SANDUKU. Je voulais aussi vous écouter sur les mobiles qui vous ont poussés à destituer votre ancien dirigeant signataire de l’acte d’engagement de cessation des hostilités. C’est également une occasion de vous sensibiliser à adhérer au processus de PDDRCS », a expliqué le colonel Siro Nsimba.

« Cette activité revêt une grande importance, c’est pourquoi j’ai tenu à ce que tous les chefs des chefferies BIRA et les grands notables soient présents dans ces assises », a-t-il ajouté.

En effet, la présence de plusieurs miliciens dans cette région a mis à mal l’autorité de l’Etat, mais également alimenté le conflit des limites administratives entre les Entités territoriales décentralisées (ETD).

A Kesenyi, dans le secteur de Bahema sud par exemple, il était difficile voire impossible qu’un chef d’une entité se déplace dans une autre. « La chefferie de Walendu-Bindi et le secteur de Bahema Sud étaient en conflit foncier et des limites administratives depuis plusieurs années. Je ne pouvais pas quitter ici pour me rendre à Gety. Seules les consultations menées par Pole Institute m’ont permis d’avoir accès à cette entité », témoigne le chef de secteur de Bahema-Sud, Kataloho Takumara. « Nos villages ont été envahis par la communauté de Walendu Bindi sous la bénédiction de la milice Front de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) ».

Pour y faire face, le consortium médiation constitué des ONG Interpeace, Pole Institute, Action pour la paix et la concorde (APC) et de l’Université de New York a organisé une activité d’identification et de validation des enjeux conflictuels. Ceci a été une occasion pour donner l’opportunité au processus de médiation entre les leaders des différentes communautés en conflits.

« Nous sommes tellement contents que la fréquentation entre nos deux communautés commence à revenir au beau fixe. Nous remercions Pole Institute d’avoir organisé cet atelier. Celui-ci a permis d’accueillir nos frères de Walendu Bindi ainsi que leurs chefs ici à Kasenyi. Nous voulons la paix et ensemble nous pouvons y parvenir », a souligné l’un des participants, avant de souhaiter qu’une activité du genre soit également organisée à Gety. « Cela sera une bonne occasion pour nous, de Bahema-Sud, pour aller y participer », a-t-il renchéri.

Pour l’instant, le projet se poursuit avec les processus de médiation pour pérenniser ses actions et faciliter la restauration définitive de l’autorité de l’Etat afin de donner une chance à la cohabitation pacifique dans cette partie de la province de l’Ituri.

Ituri : Jadis en conflit, des communautés déposent peu à peu la hache de la guerre grâce à la médiation

Komanda fait partie des entités du territoire d’Irumu, en province de l’Ituri, où des scènes de violences intercommunautaires connaissent depuis peu une certaine accalmie. En cette matinée du 9 juin, l’ambiance observée dans un centre commercial symbolise le retour de la confiance entre les membres des différentes communautés. Dieumerci Kabibe est un acteur du comité de gestion et de prévention de conflit mis en place par Pole Institute, il y a plus d’une année dans cette région. Il fait visiter quelques boutiques appartenant à la communauté NANDE/YIRA. « Avant la tenue du processus de médiation, il était difficile à un membre de la communauté LESE ou HEMA de fréquenter toute maison de commerce appartenant aux NANDE/YIRA » témoigne-t-il. Dans une petite entreprise de transfert d’argent, un jeune tente d’expliquer les raisons. « Généralement la tension entre nous les NANDE/YIRA et les autres communautés était due aux tueries causées par l’activisme des groupes armés à caractère identitaire et les conflits des limites de terre » affirme-t-il. Actuellement, la confiance tente de se renouer grâce à l’implication des autorités depuis la mise en œuvre du projet « Soutien à la médiation et la résilience pour la paix en Ituri et au Grand Nord-Kivu », fait remarquer le coordonnateur territorial de la société civile d’Irumu. Gatabo Gili pense que c’est la seule approche qui permette de mettre fin à la haine tribale. « Je suis en mission ici pour faire le suivi des recommandations des assises tenues lundi 4 juin. Grâce aux activités du projet de médiation, les autorités ont réuni toutes les communautés après les altercations signalées il y a quelques jours entre les HEMA et le BIRA à une dizaine de km de Komanda ». « Un groupe de miliciens de la Force patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC) avait fait irruption alors que le chef de groupement était en réunion avec les membres de la communauté HEMA à Basunu., Cette présence des miliciens de l’obédience Bira a été jugée comme une provocation par les HEMA. Il s’en est suivi des affrontements faisant une dizaine de morts et un déplacement de population entre les deux communautés ». Pour rétablir la paix, le chef de la chefferie des Basili, par l’entremise de l’administrateur du territoire, a convoqué de nouveau toutes les communautés à Komanda. « Ma famille et moi avions fui ce village suite à la menace HEMA. C’est grâce à cette réunion que j’ai eu le courage d’y retourner », fait savoir ce membre de la communauté BIRA, victime de ces atrocités.

En territoire d’Irumu, les membres des différentes communautés se côtoyaient et se fréquentaient mutuellement. Ils pouvaient utiliser les mêmes infrastructures sociales telles que les marchés, les hôpitaux, les écoles, les églises, etc. Mais avec l’avènement du groupe armé FPIC vers fin 2019, une haine tribale s’est installée. Cette situation faisait suite à la restriction des mouvements pour certaines communautés instaurées par cette milice. Financé par l’Union européenne, ce projet a lancé une série de consultations non seulement avec les communautés en conflits mais également avec certains leaders des groupes armés.

En date du 24 au 25 mars 2023 à Nyakunde par exemple, les leaders du groupe armé FPIC ont signé et lu un communiqué autorisant les autres membres des communautés belligérantes de circuler librement dans toutes les entités sous leur contrôle. Ce dispositif a été décidé dans le cadre d’une activité d’accompagnement du processus de médiation entre les groupes armés et les autorités locales sous la facilitation du Programme de désarmement, démobilisation et relèvement communautaires (P-DDRCs). Celle-ci a eu lieu à travers l’appui du consortium des ONG Interpeace, Pole institute, Action pour la paix et la concorde (APC) et de l’Université de New York.

Toutes les barrières érigées par les miliciens sur la Route nationale numéro 27, axe Bunia-Komanda, ont été levées. Lors de la lecture de ce communiqué, le porte-parole de cette milice a déclaré : « Toutes les communautés, notamment les HEMA, doivent se sentir libres et circuler partout où elles veulent sans aucune inquiétude. Notre mouvement s’engage à assurer la sécurité de chaque individu se trouvant dans les entités qu’il contrôle. Tous les éléments de FPIC CHAMBRE NOIRE SANDUKU qui iront à l’encontre de ce communiqué seront sévèrement punis ».

Aujourd’hui, ces consultations avec ce groupe armé FPIC ont permis aux membres des communautés de se côtoyer, surtout ceux de la communauté HEMA, de fréquenter les marchés de Marabo, de même que l’hôpital général de référence de Nyankunde pour se faire soigner. Une amélioration saluée par le médecin chef de zone de santé de Nyakunde. Dr Désiré Duabo confirme à ce jour une fréquentation estimée à 10% de la communauté HEMA, notamment ses membres généralement venus de Djugu qui avaient complètement arrêté de se faire soigner dans cet hôpital. Pour lui, en cas de poursuite de la libre circulation dans les différentes entités, l’accueil des malades issus de ces communautés craignant pour leurs sécurité devrait s’accroître. « Des miliciens pouvaient faire descendre les passagers du véhicule et vérifier les identités des uns et des autres. Si l’on découvre un membre d’une communauté autre que celle qui est de cette milice à bord d’une voiture, on assistait à une menace de mort », reconnaît un jeune leader BIRA et coordonnateur d’une OING locale, Etienne Mweke, affirmant que le processus de médiation mis en place par ce projet a fait baisser cette tension.