Ouvrir la voie à une gouvernance inclusive au Kasaï

 

Le programme de « Gouvernance inclusive pour la paix dans la province du Kasaï », en République démocratique du Congo (RDC), mis en œuvre par Action pour la paix et la concorde (APC) en partenariat avec Interpeace, a réalisé des progrès significatifs dans l'autonomisation du leadership des femmes et des jeunes.

Pendant longtemps, les femmes de la région ont été marginalisées et leur pouvoir de décision limité. Cependant, une nouvelle ère d’inclusion et d’égalité est en train d’émerger, offrant aux femmes davantage d’opportunités et de droits.

En 2019, Munda Tshonga Mado, 47 ans, mère de six enfants, était femme au foyer. En 2020, elle est devenue députée du district « Mawika » à Kamonia, province du Kasaï. Son leadership, caractérisé par la démocratie, l'inclusion et le dévouement à la paix, lui a valu la reconnaissance et l'appréciation dans son rôle de chef de district.

Depuis 2021, Mado participe à des événements de consolidation de la paix, notamment des sessions de formation pour les organisations communautaires. APC et Interpeace ont organisé ces sessions axées sur l'analyse des conflits et la transformation positive des conflits par la médiation et le dialogue. Des femmes comme Mado ont trouvé une plateforme pour récupérer leur voix et affirmer leur rôle dans la sphère publique.

Partageant son histoire, Mado raconte : « Pendant cette période, nous avons assisté à plusieurs sessions de formation avec les autorités locales. Un jour, le chef du district de Kamonia, Job Kayimbo, m'a approché pour assumer le rôle de cheffe de la localité du Vatican, l'une de celles dans son district. Peu de temps après, un conflit éclata entre le chef sortant du district de Mawika et son adjoint. Devant la difficulté de les concilier, le maire de la commune rurale de Kamonia, qui appréciait également mon travail, m'a nommée cheffe du district de Mawika, constitué de cinq localités ».

Cette nomination à un poste auparavant considéré comme inaccessible pour les femmes a brisé les stéréotypes et mis en évidence le potentiel de celles-ci à diriger dans des domaines traditionnellement dominés par les hommes. Elle a participé activement aux activités de consolidation de la paix pour le projet « Renforcer la gouvernance pour la paix en République démocratique du Congo », financé par l'Agence suédoise de développement international (Sida).

En 2022, le parcours de Mado a franchi une étape significative avec le lancement du projet d'APC visant à renforcer le leadership des femmes. Elle a participé activement à des ateliers et des sessions de formation avec ses pairs. Ces réunions ont couvert divers sujets, notamment le leadership des femmes, les résolutions 1325 et 2325 de l'ONU et les facteurs qui contribuent à l'exclusion des femmes des processus de prise de décision. Grâce à ces efforts, un changement d'attitude positif a eu lieu, les participants masculins plaidant désormais pour des femmes aux postes d'autorité au sein des mécanismes de paix et des arènes politiques.

Lors d'un atelier sur la gouvernance de la paix en novembre 2023, le président de la société civile de Kamonia, Clément Yaudiko, a exprimé son soutien aux initiatives de développement de Mado. Cependant, il a également souligné l'importance de s'attaquer aux barrières culturelles qui entravent l'autonomisation des femmes et le progrès des jeunes dans la région du Kasaï.

Mado a été victime de discrimination de la part d’hommes politiques, ce qui a conduit à un nombre limité de votes contre elle lors des élections de 2023. Sans se laisser décourager, elle a maintenu sa résolution et a décidé de se présenter comme députée nationale de son parti, l'Union pour la nation congolaise (UNC), dans la circonscription électorale de Kamonia. Même si elle n’a pas obtenu la majorité des voix, Mado a persisté et a montré son dévouement à l’arène politique en recherchant activement des opportunités de mentorat.

Son parcours a atteint son apogée lorsqu’elle a été élue présidente de l’Union des jeunes pour le développement intégral de Kamonia (UJDIK), montrant sa capacité à mobiliser à la base et à s’engager efficacement auprès de la communauté. À l'heure actuelle, Mado collabore avec les dirigeants locaux, leur offrant un mentorat et des conseils.

Le parcours de Mado rappelle l'importance de l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes au Kasaï. Il plaide pour une gouvernance inclusive dans les questions liées à la paix et souligne le potentiel inexploité de la province pour utiliser pleinement les capacités de ses femmes. Cette approche ouvre la voie à un avenir où les femmes pourront diriger avec confiance et conviction.

Un chef local accueille le changement vers une consolidation de la paix et une gouvernance inclusives dans la région du Kasaï

André Kalamba Dilondo, chef du village de Kalamba dans l'unité administrative locale de Tshofa, territoire de Mweka, province du Kasaï, République démocratique du Congo (RDC), a joué un rôle important dans la promotion de la consolidation de la paix et d'une gouvernance inclusive entre les communautés Kuba et Teke dans la région troublée du Kasaï.

Depuis 2016, la région autrefois paisible du Kasaï est en proie à des conflits connus sous le nom de « conflits Kamuina Nsapu ». Ceux-ci ont pour origine une dispute sur le prétendu pouvoir coutumier du prince Jean Mpandi en tant que chef du village « Bajila Kasanga » dans le territoire de Dibaya, province du Kasaï-Central. La situation s'est aggravée dans le territoire de Mweka, provoquant un conflit entre les communautés Kete et Kuba dans la localité de Kakenge. La communauté Kete est constituée du peuple Luba, un groupe ethnolinguistique autochtone de la région centre-sud de la RDC, tandis que les Kuba, également connus sous le nom de Bakuba ou Bushongo, rassemblent environ 16 groupes de langue bantoue dans le sud-est du Congo.

Au fur et à mesure que les conflits avaient lieu, les chefs traditionnels ayant des liens avec les Luba, dont l'autorité était également contestée, ont amené les conflits dans la province du Kasaï. En réponse, les loyalistes et d’autres communautés ont constitué des forces d’autodéfense pour se protéger. Profitant de ces troubles, les Kete ont expulsé de force certains Kuba de leurs maisons en raison de conflits fonciers préexistants. Le chef Kalamba André, personnalité respectée au sein de la communauté Kete, a soutenu cette action et revendiqué les maisons confisquées, souvent qualifiées d'«occupations secondaires ». La situation s’est aggravée lorsque des violences ont éclaté entre les partisans du chef, le gouvernement et les forces de sécurité impliquées. Les chefs traditionnels d'origine Kuba ont également amené ces conflits dans la province du Kasaï alors que leur autorité était contestée. Pour contrer cette menace, les loyalistes et d’autres communautés se sont alignés sur les forces loyalistes, constituant des forces d’autodéfense pour se protéger.

Mais le chef Kalamba, qui était au départ un chef de guerre, s'est transformé en un champion de la paix dans sa région. Il a participé activement à de nombreuses activités de consolidation de la paix organisées par Action pour la paix et la concorde (APC) en partenariat avec Interpeace. Ces activités ont été financées par l'Agence suédoise pour le développement international (SIDA) et faisaient partie de deux projets : le projet Médiation et réconciliation lancé en 2019 et le projet Renforcement de la gouvernance inclusive de la paix en RDC en 2021. Dans la région du Kasaï, Interpeace a lancé le programme « Renforcement de la gouvernance inclusive de la paix au Kasaï et au Kasaï Central » pour établir la confiance entre les autorités nationales et le pouvoir coutumier. Contrairement à d’autres conflits en RDC, celui du Kasaï découle principalement de tensions entre le pouvoir coutumier et l’autorité plutôt que de luttes de pouvoir, d’identité ou de ressources. Cette situation a donné lieu à des rivalités entre les groupes ethniques Luba et non-Luba, intensifiées par des conflits concernant les nouveaux postes administratifs.

Le chef Kalamba a progressivement reconnu l'importance de la paix et de la coexistence harmonieuse dans le développement communautaire à travers les projets de consolidation de la paix. En 2020, il se réconcilie avec son adversaire, Shakobe, chef traditionnel Kuba, en signant un pacte de paix. Lors d'une discussion de 2022 sur l'identification des zones et des acteurs du dialogue, le chef Kalamba a déclaré : « Grâce aux dialogues et aux activités de consolidation de la paix organisés par Interpeace en collaboration avec APC, auxquels j'ai participé, et à la sensibilisation générée par ces activités, j'ai demandé aux membres de ma communauté « Kete » de libérer les maisons de nos frères de la communauté 'Kuba' qu'ils avaient occupées ».

Les membres de la communauté Kuba ont confirmé ces progrès lors de l'événement de formation des journalistes de 2023 axé sur la sensibilité aux conflits avant, pendant et après les élections générales en RDC du 20 décembre 2023. Depuis lors, les deux communautés ont établi des relations mutuellement bénéfiques et ont même a collaboré à la résolution des conflits fonciers dans la forêt de Mpalulu, également connue sous le nom d'Angola. Chaque fois que des problèmes sont observés entre leurs membres, des personnalités influentes des deux communautés se réunissent pour trouver des solutions adaptées.

Lors d'un événement axé sur la gouvernance de la paix inclusive et le leadership des femmes, le chef Kalamba a rencontré Charlie Changa Bimuenyi, un militant pour la consolidation de la paix du programme d’Interpeace. Grâce à son plaidoyer, il a accepté d'associer des femmes dans son conseil royal. Reconnaissant le rôle précieux que jouent les femmes dans la communauté, il a nommé huit d’entre elles dans ce dispositif.

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Strengthening women’s livelihoods for peace in Kasaï

La région du Kasaï, jadis oasis de paix, a connu ces dernières années une situation sécuritaire délétère à la suite d’un conflit très violent d’origine coutumière dans le groupement « Bajila Kasanga », dans le territoire de Dibaya, province du Kasaï-Central, l’une des 15 nouvelles provinces de la République Démocratique du Congo.

Né en 2016 de la revendication, émise par Jean Prince Mpandi, de la reconnaissance légale de son pouvoir par les autorités étatiques, celui-ci avait occasionné l’émergence des milices « Kamwina Nsapu », qui semèrent la terreur sur toute l’étendue de la province du Kasaï-Central d’abord, puis dans l’ensemble des cinq provinces de l’espace kasaïen, couramment appelé « Grand Kasaï2 ».

Ce conflit avait engendré dans la région une crise humanitaire sans précédent et entraîné des exactions qui avaient provoqué de nombreuses pertes en vies humaines, des pillages et des destructions des infrastructures de base ainsi que des déplacements massifs des populations, freinant ainsi le développement local, provincial et régional. Une crise de confiance a été exacerbée entre membres des communautés et entre populations et institutions étatiques, menaçant ainsi les efforts de réconciliation et de reconstruction, à cause des blessures restées ouvertes.

Thérèse MBELU, l’une des femmes victimes des traumatismes liés aux atrocités du phénomène « Kamuina Nsapu », raconte son histoire :

« Résidente à Tshikula, territoire de Dibaya, le foyer du phénomène « Kamuina Nsapu », je restais avec ma belle-sœur dont le mari vivait à Kananga. Les miliciens sont entrés et ont décapité en sa présence la belle-sœur. Le beau-père qui assistait avec moi à cet événement a à son tour été attaché à un arbre et exécuté. Ces deux événements m’ont sérieusement affectée, j’avais commencé à piquer des crises d’hypertension et de gastrite chaque fois que ce souvenir me revenait à l’esprit. Je suis restée très faible même physiquement et inconsolable, la vie ne valait plus rien pour moi ; tellement désespérée. Je suis restée garder les orphelins de ma belle-sœur en plus de mes huit enfants ».

« Au mois d’octobre 2022, une ONG nationale, Travail et droits de l’homme (TDH), travaillant en partenariat avec Interpeace et avec le soutien financier du Fonds pour la consolidation de la paix en République Démocratique du Congo (PBF-RDC), a effectué une mission d’identification des cas des femmes victimes de traumatismes liés au conflit « Kamuina Nsapu » à Tshikula. Jean Marie Kajibwe, président du groupe de dialogue permanent (GDP) Dibataye, qui connaissait ma situation, m’a invitée à participer à cette rencontre où plusieurs autres femmes étaient conviées. Après avoir suivi les enseignements, chacune de nous a présenté individuellement son histoire. Ensuite, j’ai été orienté chez le médecin directeur de l’hôpital de Tshikula qui lui aussi m’a écouté et à son tour m’a recommandé auprès d’un assistant psychosocial qui a commencé à me fréquenter et me prodiguer régulièrement des conseils. Ceux-ci m’ont beaucoup réconforté et, au fur à mesure, j’ai fini par comprendre que ce n’était pas la fin du monde.

C’est alors qu’au mois de mars 2023, l’équipe de TDH est revenue à Tshikula et nous a demandé à chacune ce que nous souhaitions dans la vie comme métier, parmi trois filières proposées, à savoir la coupe-couture, la savonnerie et la pâtisserie. Moi, j’avais choisi de faire la savonnerie car j’en avais déjà fait une fois dans le passé mais de faible qualité. Nous étions une équipe de 30 apprenantes pour la savonnerie, encadrées par Madame Esther pendant deux mois. Nous avons appris et pratiqué beaucoup de choses. C’était aussi pour nous de bons moments de partage de nos douloureuses expériences et pour nous réconforter mutuellement. Dès lors, ces souvenirs ne me reviennent plus souvent et ma santé s’est améliorée.

A présent, j’ai amélioré la qualité des savons que je fabrique et tout le monde les apprécie. Ceux-ci sont très sollicités, mais je suis limité par les moyens. Mes savons sont vendus aux marchés de Tshikula et Nkufula. Toutes les deux semaines, j’utilise trois kg de soude caustique, six mesures d’huile que je mélange à trois mesures d’eau pour produire 180 savons, l’un d’entre eux étant vendu à 500 francs congolais. Ainsi avec mon petit capital de 60'000 FC, je gagne à chaque production un bénéfice de 30'000 FC chaque deux semaines et cette situation me permet de payer les frais scolaires de mes enfants et mes deux orphelins ».

Thérèse Mbelu remercie du fond de son cœur cette initiative d’Interpeace, à travers son partenaire TDH, qui a pensé à redonner espoir de vie aux femmes traumatisées par les effets du conflits « Kamuina Nsapu ». Elle a témoigné qu’au début de la formation chacune était renfermée sur elle-même, mais au fur à mesure qu’elles se fréquentaient, celles-ci ont appris à partager leur expérience, elles se réconfortaient et voilà que petit à petit elles retrouvent la joie de vivre. Les femmes se sont regroupées en Association villageoise d’épargne et crédit (AVEC) au sein de laquelle elles se réunissent tous les dimanches. Bien que l’épargne continue à leur faire défaut à la suite de leur vulnérabilité, elles restent confiantes en elles-mêmes, espérant que si jamais elles bénéficiaient d’une quelconque assistance en activités génératrices de revenus, elles pourraient travailler davantage et améliorer leur situation économique et épargner dans leur AVEC.

Ituri : Entre crainte et espoir, des communautés dans la tourmente d’une paix durable encore à cimenter par des actions concrètes

En sillonnant le grand centre commercial d’Iga Barrière à 25 km au nord-est de la ville de Bunia, le courage des femmes et des hommes, animés par un esprit d’accueil sans précédent, réjouit. Avec des motos rangées de part et d’autre de la route principale numéro 27, quelques taximen vont jusqu’à se jeter sur des passants. C’est une manière de les séduire avant de les prendre à bord de leurs engins pour des destinations diverses, selon le choix du client et sans se soucier de l’identité de l’un ou de l’autre. « Pourtant, par le passé, il était difficile ici de retrouver les membres de la communauté Hema et Lendu à bord d’un même transport en commun. Ils étaient toujours à couteaux tirés », se souvient un habitant curieux de cette ambiance.

Ce petit matin du mardi 10 octobre, l’atmosphère semble compliquer le rendez-vous que l’ONG Action pour la paix et la concorde (APC) a fixé avec certaines autorités et leaders communautaires du territoire de Djugu. La réunion est prévue pour faire une évaluation des changements induits depuis environ 21 mois par le projet soutien à la médiation pour la résilience et la paix en Ituri et au Grand Nord-Kivu, financé par l’Union européenne.  Une pluie menace la région, alors que certains invités doivent venir des zones plus éloignées avec des routes impraticables. Marthe Dheve Dhessi est assistante au programme au sein d’APC. Elle s’active pour relancer des contacts avant l’heure du démarrage de la réunion. Du coup, trois chefs coutumiers font irruption dans la salle. Mouillés et avec des valises coincées dans des sacs à imperméables, ces leaders expliquent leurs motivations par l’accalmie observée dans leurs entités grâce aux activités déjà réalisées par APC.  Mais la fin du projet n’est pas la bienvenue pour la plupart d’entre eux. « Nous ne pouvions pas rater cette séance. C’est l’unique occasion qui nous reste pour faire le lobbying. Ce projet ne devrait pas s’arrêter avant de cimenter toutes les actions avec le contexte de cette zone », lance d’un ton sec l’un d’entre eux.

Quelques minutes plus tard, c’est l’engouement des participants venus sans se gêner sous une fine précipitation. Dans les échanges, l’apport du projet dans une région ayant connu des violences intercommunautaires est discuté. Selon la police locale, des traces restent encore visibles avec la détention illégale d’armes par des jeunes d’autodéfenses disséminés au sein de la population.

Seules les activités du projet ont diminué la tension et renforcé la cohésion sociale entre les membres des communautés.

Pour illustrer ces avancées significatives, le coordonnateur de la société civile de la chefferie de Bahema-baguru revient sur un incident ayant touché ceux-ci, entre lesquels la confiance mutuelle se rétablit peu à peu. DINO BADINGA parle d’un éboulement enregistré à la veille de l’activité dans un carrier minier commun situé dans le secteur Walendu Djatsi. Cette zone était jadis principalement occupée par les Lendu et les Hema n’y avaient pas d’accès.

« Le 9 octobre dernier, 17 personnes des deux communautés confondues travaillant ensemble dans le carré minier dit « morgue » dans le village Lopa ont été englouties dans la terre. Parmi les victimes, 11 Hema et sept Lendu ont été sauvés de justesse grâce aux alertes et efforts coordonnés par une équipe conjointe », se félicite DINO BADINGA. Pour lui, le pire a été évité parce que les communautés ont compris l’importance de la cohabitation pacifique depuis la mise en place des mécanismes de prévention et gestion de conflit instaurés par ce projet piloté par Interpeace, APC, Pole Institute et l’Université de New York dans cette partie de la République démocratique du Congo (RDC).

Un témoignage de changement parmi plusieurs dizaines d’autres qui ont suscité la réaction des participants dans les différents groupes de discussions organisés à l’occasion. L’unique souhait exprimé par la majorité reste la poursuite des activités de dialogues et de médiations notamment entre les différents groupes armés encore actifs dans le territoire de Djugu.

Face à cette main tendue, APC s’est lancée dans une approche communautaire participative de pérennisation en s’appuyant sur les animateurs de ces structures de paix au niveau local. Ceux-ci sont répartis dans 11 entités regroupant cinq membres chacune. Et pour faciliter le réseautage des structures ou mécanismes de gestion et prévention des conflits, afin de couvrir les actions non encore touchées par le projet, APC a organisé un atelier d’urgence. L’objectif était de restructurer le mécanisme d’appui aux actions concrètes issu du processus de médiation et de dialogue.

Dans le cadre de ces assises, des communautés ont convenu de mener plusieurs actions sans attendre un quelconque soutien pour réduire les violences. Parmi celles-ci, figurent notamment la sensibilisation des groupes armés locaux, la vulgarisation de la loi foncière ainsi que le code minier.

Sur la liste, il faut citer aussi l’organisation des médiations de proximités entre les entités voisines en conflit et la tenue régulière des réunions pour faire l’évaluation interne de ce mécanisme avant de lancer une campagne de sensibilisation sur la résolution non violente des conflits. Les chefs coutumiers et autres autorités provinciales impliquées dans la recherche de la paix ont participé.

Ituri : Les autorités coutumières prennent leurs responsabilités pour pacifier leurs communautés

Radio communautaire Tuendeleye de Gety. Journal du matin. C’est encore le message du secrétaire administratif de la chefferie des Walendu-Bindi qui est dans les titres ce 16 août dernier. Martin MATATA KAWA appelle les communautés à la cohésion sociale, après des affrontements ayant opposé deux villages du groupement zadu à plus de 60 km au sud de la ville de Bunia, en province de l’Ituri. Selon des sources concordantes, cette situation a coûté la vie à un chef de village et 91 maisons ont été incendiées. Le lendemain déjà, une délégation composée des notables de la zone s’active pour calmer la tension, à l’initiative du chef de chefferie. Fidèle Mongalyema croit que la stratégie qui cherche à mettre les parties en conflit autour d’une même table reste la seule alternative. Il affirme avoir tiré cette expérience des retombées des formations reçues dans les activités du projet soutien à la médiation pour la résilience et la paix en Ituri et au Grand Nord-Kivu, financé par l’Union européenne. « J’avais du mal à mobiliser les notables des différents villages après des échauffourées opposant certaines entités. Aujourd’hui, nous avons mis en place une commission pour aller échanger directement avec les personnes concernées, pour une médiation. Des acquis que j’ai tirés des séances de renforcement de capacité reçues de Pole Institute sur la gestion et la prévention de conflits », témoigne-t-il.

Comme lui, certains de ses collaborateurs se sont déjà approprié l’approche du projet pour rétablir la paix entre les membres des communautés ayant des différends. Patrick Bandru kazi est le chef de village TSEDE. « Je rencontrais des difficultés pour trancher certains jugements. J’étais parfois dans l’obligation de transférer certains dossiers à la police. Aujourd’hui, grâce à ce projet, je suis en mesure de m’assumer. Il m’arrive à ce jour de concilier cinq cas de conflits par semaine », se réjouit-il.

En sillonnant le centre de Gety, les témoignages des habitants démontrent en partie le niveau d’implication des autorités, notamment pour mettre fin aux conflits entre agriculteurs et éleveurs. Ces tensions se soldaient généralement par des violences sanglantes. AWIRA VETSI est une habitante de la chefferie de Walendu-Bindi. Elle parle de l’historique de cet enjeu majeur que le consortium médiation composé d’Interpeace, Pole Institute, Action pour la paix et la concorde (APC) et l’Université de New York a pu lister en termes de priorités pour pacifier la région. « Avant l’organisation des ateliers portant sur les techniques de médiation, les bêtes pouvaient dévaster des champs entiers. En représailles, les propriétaires de certaines concessions pouvaient s’en prendre à des bêtes jusqu’à les décapiter. Et dans l’incapacité de réconcilier certains habitants, le service de l’Etat pouvait infliger des amendes exorbitantes aux parties », dit-elle.

« Ce qui occasionnait la résurgence de la haine entre les communautés », explique-t-elle. Depuis la tenue d’une série d’ateliers de renforcement des capacités sur la médiation organisée par Pole Institute, il y a plus d’une année, les chefs coutumiers formés prennent des initiatives pour la résolution pacifique des conflits. ODUDHU NZILA Christophe, membre d’une structure de taximan-moto, confirme que certaines autorités qui ont été accompagnées viennent les sensibiliser pour la résolution pacifique des conflits de leadership qui surgissent pour la plupart entre certaines associations des motards. « Les taximen peuvent se bagarrer mais ils se réunissent pour résoudre leur différends grâce aux différentes séances de sensibilisation menées par les chefs coutumiers », précise-t-il. Et pour cause, « le chef d’un parking donné par exemple ne digère pas bien le fait que celui d’un autre point de stationnement des motos arrête son taximan et vice-versa ».

 

La chefferie de Walendu-Bindi a connu un regain d’insécurité depuis 2006 avec l’arrivée massive des déplacés des entités environnantes. Ces derniers étaient venus avec du bétail avant d’occuper certains espaces réservés à l’agriculture, occasionnant ainsi des atrocités à la suite de la dévastation des cultures par des bêtes.

Depuis seulement deux ans environ, une accalmie est observée grâce à l’implication de certaines autorités coutumières, soutenues par quelques organisations humanitaires, fait savoir AWIRA VETSI, membre d’une structure féminine de Gety. Elle cite par exemple l’ONG locale Appui à la communication interculturelle et à l’auto-promotion rurale (ACIAR) qui a lancé une campagne de sensibilisation sur la cohabitation pacifique avant la mise en place de mécanismes de paix par Pole Institute, d’une part, et Alerte internationale, d’autre part, dans le territoire d’Irumu.

 

Ituri : Confisquées par des miliciens, des entités sont rétablies aux chefs coutumiers à travers des consultations

Il peut désormais se faire entourer des membres de son comité de sécurité. Lui, c’est Jean Gaston Herabo, le chef de chefferie d’Andisoma, dans le territoire d’Irumu en province de l’Ituri. En pleine réunion, ce jeudi 8 juin, il est accompagné de responsables de différents services assis à ses côtés pour statuer sur la situation générale de son entité. « Nous pouvons désormais jouir de notre pouvoir. Actuellement je peux me rendre à Gety comme dans d’autres villages sous ma juridiction », se réjouit-il. Pourtant, il y a environ trois mois seulement, toute cette zone était sous l’emprise de la milice du Front patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC).  Pendant plus de cinq ans d’occupation par cette milice, l’autorité de l’Etat était bafouée. Ici, toutes les compétences réservées aux chefs coutumiers étaient entre les mains des leaders de ce groupe armé. Ceux-ci « pouvaient organiser des jugements et même emprisonner les coupables avant de leur infliger des amendes en lieu et place des autorités territoriales », ont fait savoir plusieurs témoins. Cette situation a affecté l’accessibilité et la cohabitation entre les communautés des plusieurs entités du territoire d’Irumu.

En février dernier, le projet soutien à la médiation et la résilience pour la paix, financé par l’Union européenne, s’est lancé dans une bataille pour faciliter la restauration de l’autorité de l’Etat. A travers Pole Institute, une série de consultations avec les groupes armés a été amorcée en appui au Programme de désarmement, démobilisation et relèvement communautaires (P-DDRCs). Début juin, pour la première fois, le groupe armé FPIC a accepté de rencontrer l’administrateur militaire du territoire d’Irumu, dans le cadre d’une activité d’accompagnement du processus de médiation tenu à Nyakunde dans la même région. « C’est pour la première fois de vous rencontrer après votre retranchement dans les maquis. Je suis venu prendre contact avec les nouveaux responsables du groupe armé FPIC/CHAMBRE NOIRE SANDUKU. Je voulais aussi vous écouter sur les mobiles qui vous ont poussés à destituer votre ancien dirigeant signataire de l’acte d’engagement de cessation des hostilités. C’est également une occasion de vous sensibiliser à adhérer au processus de PDDRCS », a expliqué le colonel Siro Nsimba.

« Cette activité revêt une grande importance, c’est pourquoi j’ai tenu à ce que tous les chefs des chefferies BIRA et les grands notables soient présents dans ces assises », a-t-il ajouté.

En effet, la présence de plusieurs miliciens dans cette région a mis à mal l’autorité de l’Etat, mais également alimenté le conflit des limites administratives entre les Entités territoriales décentralisées (ETD).

A Kesenyi, dans le secteur de Bahema sud par exemple, il était difficile voire impossible qu’un chef d’une entité se déplace dans une autre. « La chefferie de Walendu-Bindi et le secteur de Bahema Sud étaient en conflit foncier et des limites administratives depuis plusieurs années. Je ne pouvais pas quitter ici pour me rendre à Gety. Seules les consultations menées par Pole Institute m’ont permis d’avoir accès à cette entité », témoigne le chef de secteur de Bahema-Sud, Kataloho Takumara. « Nos villages ont été envahis par la communauté de Walendu Bindi sous la bénédiction de la milice Front de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) ».

Pour y faire face, le consortium médiation constitué des ONG Interpeace, Pole Institute, Action pour la paix et la concorde (APC) et de l’Université de New York a organisé une activité d’identification et de validation des enjeux conflictuels. Ceci a été une occasion pour donner l’opportunité au processus de médiation entre les leaders des différentes communautés en conflits.

« Nous sommes tellement contents que la fréquentation entre nos deux communautés commence à revenir au beau fixe. Nous remercions Pole Institute d’avoir organisé cet atelier. Celui-ci a permis d’accueillir nos frères de Walendu Bindi ainsi que leurs chefs ici à Kasenyi. Nous voulons la paix et ensemble nous pouvons y parvenir », a souligné l’un des participants, avant de souhaiter qu’une activité du genre soit également organisée à Gety. « Cela sera une bonne occasion pour nous, de Bahema-Sud, pour aller y participer », a-t-il renchéri.

Pour l’instant, le projet se poursuit avec les processus de médiation pour pérenniser ses actions et faciliter la restauration définitive de l’autorité de l’Etat afin de donner une chance à la cohabitation pacifique dans cette partie de la province de l’Ituri.